Absorbé par la densité de rêve de ce roman romantique, romanesque et philosophique de Joseph Conrad (1857-1924). Ce roman fait partie du panthéon de Michel Déon dans son excellent Lettres de château et de celui d’Alain Finkielkraut dans son ouvrage Un Cœur Intelligent. Ce livre nous porte au-delà de nous-mêmes vers les sources de l’existence, l’illusion de la réalité, l’imaginaire du réel.
Au-delà de La vie de Lord Jim, Tuan Jim, racontée principalement par ce tiers, Marlow, l’écriture de Conrad est envoutante, ses longues phrases rythmées impriment une force sourde qui ne manque pas de vous emporter pour autant que vous ayez le temps de vivre.
Voyez ces images pénétrantes :
“Le Patna franchit les Détroits, traversa le golfe, suivit le passage du premier degré. Il piqua droit vers la mer rouge, sous un ciel serein, sous un ciel torride et sans nuage, sous un éclaboussement de soleil qui tuait toute pensée, serrait le cœur, desséchait toute impulsion de force et d’énergie. Et sous la splendeur sinistre de ce ciel, la mer bleue et profonde restait impassible, sans un mouvement, sans un pli, sans une ride, visqueuse, stagnante, mort. Avec un léger sifflement, le Patna coupait cette plaine unie et lumineuse, déroulait dans le ciel son noir ruban de fumée, laissait derrière lui sur l’eau un ruban blanc d’écume, tout de suite effacé, comme un fantôme de piste tracée sur une mer morte par un fantôme de navire.” chapitre II
Lord Jim, ce romantique nourrit par les livres de voyage et d’aventure,
“En de tels moments, il ne rêvait plus que d’actions valeureuses ; il les chérissait ces pensées, et le succès d’exploits imaginaires qui faisaient la meilleure partie de sa vie, sa vérité secrète, et sa réalité cachée.” chapitre III
Lord Jim suivra son chemin, tracera sa route, son existence :
“Mes dernières paroles sur le compte de Jim seront brèves. J’affirme qu’il a atteint une vraie grandeur, mais une telle histoire est rapetissée par celui qui la raconte ou plutôt par ceux qui l’écoutent. Franchement c’est moins de mes paroles que je me méfie que de vos esprits. Je saurais être éloquent si je ne craignais que vous ayez laissé étioler vos imaginations pour vous remplir le ventre. Je ne veux pas vous offenser ; il est bien respectable, apaisant, profitable…et ennuyeux de ne point nourrir d’illusions. ” chapitre XXI
Prenez le temps de rêver, d’imaginer, prenez la route de vous-même avec Lord Jim & Marlow.
Lu dans l’édition GF-Flammarion de 1996, traduction de 1921 de Philippe Neel, introduction, dossier, notes d’André Topia
Lectori salutem, Pikkendorff