Une histoire, un conte à Paris à cheval sur son méridien 0, destin, choix, mystères…“comme dans les anciennes cartes, le canard voguant paraissait quelque symbole obscur, désignant le méridien de Paris, et autour de lui se rangeait les Cités, et le parc, et la zone avec ses wagons, et le restaurant de bois, et les arbres en fleurs, et les heures nocturnes sur la pelouse centrale.”
Autour du parc de Montsouris, vont s’enchevêtrer les vies d’Isabelle, l’étudiante et ses deux compagnons Laurent et Daniel, du chevreau, un petit gars de la zone (zone non aedificandi), de deux garnements victimes et bénéficiaires de la philanthropie d’un brave commissaire de police, d’un bourgeoise philanthrope et d’une épicière, Mme Lepetitcorps, mal embouchée et ne sachant comment aimer. Au milieu d’eux, le marchand d’oiseaux allant avec ses deux cages sur l’épaule, le lien sacré et inconnu, le porteur des signes changeant les destins. “Inconscient de ce qu’il entraînait derrière lui, du long sillage voluptueux qu’il laissait, scintillant de mille éclats de soleil, ainsi avait traversé le Sud de la ville ce sorcier ingénu, sur le droit parcours du méridien de Paris, comme une image semi-paysanne, comme un Saint Nicolas embrumé de neige sous sa hotte, marchant vers le saloir de trois petits qui s’en allaient glaner aux champs, -et peut-être, comme une représentation du destin.”
Ce destin bouleversé par les choix faits à notre insu par des personnes bien intentionnées. Dans ce monde imparfait et complexe comment savoir si un choix se révèlera bon ? Et à quel terme ? Une vie ou plusieurs vies d’hommes ? Quid alors de la philanthropie ?
- [Isabelle]D’abord j’ai en horreur les institutions philanthropiques, et la philanthropie en général. Vous n’êtes pas de mon avis ?
- J’ai toujours pensé, répondait Daniel, que la philanthropie est des formes les moins voluptueuses, mais les plus virulentes du sadisme. Seulement….
Exprimer un sentiment n’est ce pas déjà agir sur la vie des autres à leur insu ? Roman métaphysique où tous partagent cette difficulté à exprimer leurs sentiments. “Nul autre que lui, il en était certain, n’aurait pu accomplir ce que lui ordonnait de toute éternité le hasard. C’est le hasard qui l’avait choisi, comme il choisit parfois, sans raison, l’un de nous pour en faire le représentant de Dieu sur terre, entraîner des enfants perdus dans un sillage lumineux, les arrêter au bord de quelque ombre. A nous de comprendre notre rôle, de ne pas renvoyer ceux dont la vie est entre nos mains.”
Critique des valeurs de l’argent de son temps. “Elle les mena au cinéma, mais ils y virent des gangsters américains, de grands seigneurs du cambriolage, et elle eut peur. Devant ces images violentes, ils applaudissaient et riaient à grands éclats comparant les divers procédés des chefs de bandes et leurs armements. Détective et Paris-Soir leur apportaient d’autres pâtures, plus réelle, plus excitantes encore. Dans ces feuilles sadiques, ils couraient aux enquêtes criminelles, aux faits divers, et Marie, pour la première fois de son existence, comprenait ce qui pousse les foules vers l’ordure imprimée et l’exploitation des sentiments immondes, et tremblait à l’idée de perdre ses enfants à cause d’un peu d’encre et de papier.”
Amour du genre humain, détestation de la foule “Sous les lueurs violentes, les visages monstrueux de la foule aux mille rondeurs agitaient leurs paupières armées de cils, comme les amibes et les infusoires, palpitaient de leurs narines, de leurs pores souillés, animés d’une vie végétale plus obscure que celle des animaux imprécis que les savants recueillent des mers. Renversées sous le ciel, ces figures rondes se touchaient, par-dessus l’une l’autre passaient, se noyaient dans l’ombre inférieure, comme si elles eussent été indépendantes des corps auxquels elles appartenaient, et seulement agitées de vastes ressacs, de raz de marée qui les précipitaient tout à coup, amalgamées comme d’immenses bancs d’œufs de poissons, dans quelques Sargasse putréfiée, au coin d’un étalage ou d’un manège. Puis elles reprenaient leur terrible mouvement imprévisible, coulaient devant Marie en un flot parfaitement inexorable, agitées de doux mouvements rétractiles, portées par un gulf-stream brûlant.”
Observateur de Paris, des marchés, de la vie. “Le large choux aux grosses veines gonflées à éclater d’un sang vert et crayeux, les caisses de haricots roux, pleines d’un gravier rutilant, les pois cassés, les sacs qui sentent la toile et où la main plonge dans les lentilles crissantes, les bouquets de carottes taillées dans la brique, les tomates de la fin d’automne, crevées par endroits, talées de brun et de violet, au cœur fibreux, mais toutes giclantes encore d’un sang pâle, s’amoncellent sur des planches gluantes, devant la vitrine. […] Dans les vitrines, devant les boîtes de conserves en piles, où se reflète une lumière sourde, les gros plats de faïence blanche portent quelques mottes de beurre, où tous les jaunes se marient, jaune un peu vert, juste sous les boîtes, jaune paille, jaune cendré, jaune des cierges anciens, jaune des gants de marié, jaune frais, blanc à peine crémeux. Le Hollande couleur de pomme, fendu d’un coup et comme éclaté, montre sa chair épaisse à coté du gruyère huilé et suant sous sa croûte pareille au sol des basses-cours couvertes d’ordures. A ses cotés, le bleu d’Auvergne, granit à peine souillé, le Roquefort somptueux, rutilant de toutes les splendeurs vertes et bleues de la putréfaction, gras, beurré et déjà effrité en onctueux éboulements, – et le Gorgonzola blafard rongé de lèpres presque noires.”
Le Marchand d’oiseaux, commencé en Janvier 33 sous le titre Méridien de Paris, pendant son année de service militaire, puis repris en Juin 35, a été édité par Plon en Mai 36. Il est intéressant de noter les différents titres donnés au manuscrit au cours de son écriture : Malchances, Pile ou face, La difficulté des sentiments et enfin Le marchand d’oiseau, plus poétique et dickensien. Troublante danse de titres qui chacun souligne un aspect du livre ; le Marchand d’Oiseaux les englobe tous soulignant la dimension poétique de l’œuvre.
Robert Brasillach (1909 – 1945), génie de la langue française, au-delà des peintures extraordinaires des vies ordinaires et profondément humaines, combine, à pile ou face, du destin, des signes, une œuvre faisant unité avec ses deux premiers romans ; nous avançons avec cette sagesse animale qui nous aide à faire des choix. La banalité, l’ordinaire, le vulgaire transcendé par une prose poétique, par un regard pénétrant les lieux et les gens et grâce à l’expression métaphysique du destin choisi ou subi.
Œuvres antérieures
Mai 1931, à vingt ans, rue d’Ulm il commet Présence de Virgile. Le style et la dimension poétique de sa prose est déjà hors de portée des gens de lettres communs. Et déjà cette remise en question permanente ”car l’écrivain qui vient de publier un livre, son livre ne correspond déjà plus. Ce n’est pas le refaire, le corriger, qu’il voudrait, lorsque ces pages mortes se lève d’une déception. C’est faire autre chose. Il ne comprend pas en quoi tout cela l’a intéressé, il lui semble donner de lui-même une idée mince et fausse. Ce n’est pas cela lui-même. C’est ce qu’il fera demain, aujourd’hui”.
1932, Le Voleur d’étincelles, un roman quelque peu autobiographique et métaphysique ‘’le chœur bas et puissant des bêtes de la famille, couchées en rond ou assises autour du feu de la jungle primitive est une seule voix où l’on n’a pas à faire de partage. La voix du sang.[…] Il tendait les mains à ce feu dont il avait été longtemps exilé, ne demandant que l’aumône de quelques étincelles.’’
L’enfant de la nuit (1934), un roman bâti dès 33 sur quelques personnages parisiens. “Je me suis trouvé là, dans ce Paris unique, dans cette ville des faubourgs et des cathédrales, dont la douce couleur grise est la couleur même de ma jeunesse. Il n’était besoin de rien d’autre. Il n’y a pas d’êtres ordinaires.”
Robert Brasillach – Présence de Virgile
Mon édition est l’édition originale Mai 1931 éditée à 8 000 exemplaires par PLON
Lectori salutem, Patrick