“La confiance ne va pas sans la méfiance. Méfions-nous même de ceux à qui nous faisons confiance.”
Une écriture efficace m’entraîne irrésistiblement en 1953 dans la Russie communiste de Staline. Les principaux personnages Leo Demidov, membre de la police secrète, Raïssa, sa femme et Vassili, son collègue envieux et ennemi personnel sont entraînés dans une suite d’évènements aux multiples causes mêlées et entremêlées voyant du passé enfoui profondément surgir un présent effrayant.
De ces amours contrariées, ces haines familiales entretenues par delà les décennies, Ponson du Terrail en a tiré un cycle : Les Drames de Paris, la France, un adjectif : rocambolesque.
La qualité de ce premier livre livré au public par Tom Rob Smith est l’équilibre trouvé entre trois types de ressorts :
- le polar : une enquête policière sur un meurtrier en série,
- le thriller : la haine de Vassili et la présomption de culpabilité du régime communiste,
- le roman historique : une forte présence de références historiques avec les conséquences au quotidien des règles de vie sous le communisme en 1953.
Pourquoi ai-je aimé ce roman ?
Une énième dénonciation des régimes communistes ne fait pas de mal. La lecture des auteurs russes de la liberté tels Viktor Kravtchenko, J’ai choisi la liberté, Soljenitsyne, l’Archipel du goulag, ou Vassili Grossman, Tout passe, permet d’être informé par un regard russe contemporain des faits. Ces ouvrages, pour aussi merveilleux soient-ils, sont illisibles ou incompréhensibles en profondeur pour un Français du XXème siècle sinon pourquoi verrions-nous des types se promenant avec un tee-shirt à l’effigie de Che Guevara, tortionnaire patenté !
Tom Rob Smith joue magnifiquement des ressorts psychologiques de la société du doute issus de la présomption de culpabilité et de la dénonciation suivie obligatoirement d’effet puisqu’il n’y a pas d’innocents.
“Seuls les gosses croient encore à l’amitié, et pas les plus malins, encore.”
Grâce à un excellent travail préparatoire, Tom Rob Smith utilise les prolongements de ces principes influant tant l’enquête elle-même que les vies personnelles et professionnelles. Partout s’insinue la suspicion légitime que ce soit à Moscou au sein du futur KGB, dans les kolkhozes ou en province à Rostov chez les cosaques du Don, près de la mer d’Azov à deux pas de la Crimée et de Smiféropol mais à 1 000 km de Moscou !
Les limites de ce roman
- un scénario avant d’être un roman.
- Le style personnel s’efface au profit d’une technique d’écriture irréprochable. J’aime assez les auteurs britanniques pour le regretter.
- La multiplication de situations et de personnages convient à une lecture attentive, rythmée et inférieure à trois jours.
- L’enquête commence page 200, le coupable est connu page 300, le mystère des identités croisées mis au jour page 400 et reste 100 pages de course-poursuite avec une fin en queue de poisson sur 20 pages avec un happy-end hollywoodien et une introduction pour la suite, Kolyma.
Quid du prochain livre de Tom Rob Smith ?
Ce roman est convaincant mais il résulte d’un fragile équilibre.
La suite des aventures de Léo dans Kolyma est déjà parue, trop vite peut-être…
Peter May avec son excellent Meurtres à Pékin avait proposé pareillement un polar ambiance chinoise post révolution culturel pour occidentaux. La suite n’avait pas convaincu.
Rappelons pour nous Français qu’à cette même époque :
- La UNE de l’Humanité le 14 Juillet 1954 titrait « La liberté de critique est pleine et entière en URSS « . Conclusion offerte par Jean-Paul Sartre au retour de sa visite en URSS post stalinienne.
- Raymond Aron sera presque le seul à s’insurger contre sa partialité. En 1955, il écrit L’Opium des intellectuels, fortement critiqué par l’intelligentsia germanopratine.
- En 1957, Jean Paul Sartre arrivera en tête d’un sondage réalisé par L’Express auprès des jeunes de moins de 30 ans.
- En 1974, dans Le Nouvel Observateur puis Situation X, Sartre révisera son jugement : « Après ma première visite en URSS, en 1954, j’ai menti. Enfin, ‘menti’ est peut-être un bien grand mot : j’ai fait un article (…) où j’ai dit des choses aimables sur l’URSS que je ne pensais pas. (…) Je ne savais pas qu’ils [Les camps] existaient encore après la mort de Staline, ni surtout ce qu’était le Goulag ».
J’attends le prochain roman de Tom Rob Smith avec attention en espérant qu’il saura, en conservant sa technique, laisser venir son âme au bout de sa plume.
Visitez un site d’auteur très moderne www.tomrobsmith.com
Merci à Brice pour l’idée et le roman !
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon pour Belfond, 2009, 525 pages. Edition originale chez Simon & Schuster, 2008
Lectori salutem, Patrick