“Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall.”
De littérature islandaise…non pas encore un de ces romans policiers scandinaves mais de la littérature servie magnifiquement par la traduction de Catherine Eyjolfsson. Ces colliers de mots, ces bijoux ciselés, ouvrent à soi et aux autres plus efficacement qu’une visite chez le coiffeur. Silence dans les rangs, ouvrez le court ouvrage et embarquez pour l’Islande.
“Bientôt, ma Belle, j’embarquerais pour le long voyage qui nous attend tous. Et c’est bien connu que l’on essaye d’alléger son fardeau avant de se mettre en route pour une telle expédition. Assurément, j’arrive après la soupe ont écrivant cette lettre maintenant que nous sommes tous plus ou moins morts ou séniles, mais je m’en vais la griffonner quand même.”
Intimiste et voyeur, touchant et agaçant, Bjarni Gislason adresse une dernière supplique à Helga, son amour de toujours. La naissance de ce désir ardent pour Helga et la courbe de ses seins, dans la grange ; Hallgrimur, ce mari aux heureuses absences mais encore par trop présent ; l’annonce du fruit de l’amour défendu et le choix terrible : Partir avec Helga à Rekjavik ou rester avec Unnur, sa femme.
“Tu as dit que tu me voulais et demandé si nous ne devrions pas tout simplement partir ensemble et dire adieu à cette contrée. J’ai ri d’abord, sans prendre ces paroles au sérieux. J’ai essayé de mettre des mots sur ce que je ressentais, même s’ils étaient déficients. Et puis elle a pris fin brusquement. La saison des amours de ma vie.”
Bjarni est sa terre. Il communique avec l’invisible, la nature. Son amour pour Helga est physique, sensoriel. D’Helga, nous en saurons plus ses mamelons sacrés à l’image d’une colline où il lui plaît de poser la tête, que sur ce qui l’a fait rire ou pleurer.
Bjarn est l’Islande paysanne. Comment pourrait-il suivre l’exode rural et se rendre à Rekjavik ? “Les canards de Reykjavik sont devenus exactement pareil aux gens tristes parasites qui se chamaille mais ce qu’on leur jette.” L’occupation américaine (25% de la population), le mépris de l’occupant, amène à porter sur soi un regard différent.
“Depuis cette fin de soirée, je suis celui qui n’est pas parti, celui qui a préféré croupir dans son coin plutôt que de suivre son amour.”
De ce moment la Lettre parcourt sa vie sans Helga ; la naissance de celle qui deviendra par le fait fille de Hallgrimur, leur fille ; les regrets, les justifications ; l’incantation contre l’orgueil d’Helga à ne pas vouloir rester au village.
“Je ne regrette rien, Helga. Puisque c’est toi qui as voulu qu’il en soit ainsi. C’est pourquoi, je l’affirme : il n’a jamais été question de choix pour moi. C’est à toi qu’il appartenait. Tu n’as pas voulu de moi.”
Comme moi, comme tous les lecteurs vous prendrez parti pour Helga ou pour Bjarni. N’aurait-elle pas dû quitter son mari, faire fi des langues mauvaises, rejoindre son amour et vivre heureux au lieu de créer rancœur et malheur. Helga ne porte-elle pas à elle seule le poids de la culpabilité ?
A l’inverse, il a refusé de quitter sa femme, Unnur. Point barre. Et puis l’exode rural était, à l’époque une réalité. Le couple eut pu s’y tailler une place. Helga ne fait-elle pas déjà un gros effort pour proposer de se rendre à la ville avec ce paysan arriéré et libidineux ?
Pour les curieux
Visitez le toujours excellent de l’Université de Laval au Québec
Rappelons les éditions Zulma et Catherine Eyjolfsson nous avaient déjà enchantés avec l’excellent livre Rosa Candida de Audur Ava Olaffsdottir.
Editions Zulma, 130 pages, 16,50€
Lectori salutem, Pikkendorff