« Ne sois pas bruyant comme les Américains. Tiens-toi loin des Chinois, ils ne nous aiment pas. Attention aux Coréens, ils nous haïssent. Méfie-toi des Philippins, ils ont pires que les Coréens. N’épouse jamais personne qui viendrait d’Okinawa, ces gens-là ne sont pas vraiment Japonais. »
Magnifique et pénétrante évocation des vies des immigrants japonais arrivés au début du XXème siècle. Vendues prêtes à marier, ces filles de toutes conditions, paysannes pour le plus grand nombre, adolescentes parfois, vierges le plus souvent, innocentes surement, quittent leur patrie pour les jeunes Etats-Unis d’Amérique. Là-bas de beaux et jeunes hommes riches les attendent pour remplacer leur famille et le Japon où une jeune fille doit se fondre dans le décor : elle doit être là sans qu’on la remarque. Le voyage, la désillusion en posant le pied sur le sol de la liberté. Nous voilà en Amérique, nous dirions-nous, il n’y a pas à s’inquiéter. Et nous aurions tort.
L’on lit ces pages comme l’on déambule dans une pinacothèque. Le temps passe, les évènements s’imposent en une suite de tableaux. La plume, enfin le pinceau de Julie Otsuka, à traits vifs, tendres et rapides, à chaque page, embrasse de chaque moment le particulier et le général. Le narrateur est chacune d’entre elle partageant le tout et la diversité des destins. Impressionnant, passionnant et surtout captivant.
Le premier contact physique, le monde des blancs, la langue inconnue, les coutumes étranges et barbares, l’esclavage accepté, les maternités, les enfants, la mort, les adolescents reniant leurs parents trop japonais, les maladies, les étranges religions, les déportations lors de la guerre du Pacifique, les amis et les lâches, la nature, le travail et toujours, toujours la vie.
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Nous avons accouché sous un chêne, l’été, par quarante-cinq degrés. Nous avons accouché près d’un poêle à bois dans la pièce unique de note cabane par la plus froide nuit de l’année. Nous avons accouché sur les îles venteuses du Delta, six mois après notre arrivée, nos bébés étêtent minuscules, translucides, et ils sont morts au bout de trois jours. Nous avons accouché neuf mois après débarqué de bébés parfaits, à la tête couverte de cheveux noirs. Nous avons accouché dans des campements poussiéreux, parmi les vignes, à Elk Grove et Florin. Nous avons accouché dan des fermes reculées d’Impérial Valley, avec la seule aide de nos maris, qui avait tout appris dans « Le compagnon de la ménagère. Mettez une casserole d’eau à bouillir… »Nous avons accouché à Rialto, à la lumière d’un lampe à pétrole, sur une vieille couverture de soie que nous avions apporté du Japon dans malle. Nous avons accouché comme Makiyo dans une étable aux abords de Maxwell, allongée sur une épaisse paillasse….
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Certains laissèrent un nom qu’on cite avec éloge. D’autres n’ont laissé aucun souvenir et ont disparu comme s’ils n’avaient pas existé. Ils sont comme n’ayant jamais été, et de même leurs enfants après eux. L’Ecclésiaste, 44 : 8-9
Paru en 2011 sous le titre original The Buddha in the Attic, traduit par Libella en 2012 par Catherine Chichereau.
Phebus, 2012, 139 pages, un petit 15€ pour un voyage dans l’esprit, le temps et l’espace.