Stefan Zweig – Le monde d’hier ( Die welt von gestern)

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« Parlez donc, ô mes souvenirs, vous et non moi, et rendez au moins un reflet de ma vie, avant qu’elle ne sombre dans les ténèbres. »

Témoignage d’une vie tendue par les cavaliers de l’Apocalypse de la première moitié XXème siècle, ces pages écrites en exil en 1941 rendent palpable la fin d’un monde et le poison du nôtre.
« Chacun de nous, même le plus infime et le plus humble, a été bouleversé au plus intime de son existence par les ébranlements volcaniques presque ininterrompus de notre terre européenne ; et moi, dans la multitude, je ne saurai m’accorder d’autres privilèges que celui-ci : en ma qualité d’Autrichien, de Juif, d’écrivain, d’humaniste et de pacifiste, je me suis toujours trouvé à l’endroit exact où ces secousses sismiques exerçaient leurs effets avec le plus de violence. »

Le Monde d’hier n’est pas une autobiographie. La personne de Sweig n’est pas le sujet, elle est le media d’observation des temps, des évènements, des bouleversements, de l’atmosphère morale. Il est mille fois plus facile de reconstituer les faits d’une époque que son atmosphère morale. Stefan Weig la reconstitue merveilleusement à partir de petits faits personnels comme cette comparaison de Berlin et sa Vienne : La propreté et un ordre rigoureux, exact, régnait partout au lieu de notre entrain musical. La servilité volontaire de l’Allemagne avec sa conscience hiérarchique accusée des rangs et des distances, aiguisée jusqu’à en être douloureuse.
Il est à conseiller vivement à tout honnête homme de lire cette relation décrivant le Monde d’avant la première guerre civile européenne et les transformations vécues notamment, et peut-être surtout, dans le monde intellectuel si éloigné des préoccupations du monde marchand.

« Les pensées se développent en moi, sans exception, à partir des objets, des événements et des formes sensibles, tout ce qui est purement théorique et métaphysique demeurant inaccessible à mes capacités d’apprentissage. »
Et de revenir sur 50 années avec légèreté et gravité parcourant tous les thèmes de la vie : Les libertés individuelles et le sentiment de classe ; les relations entre les hommes, les femmes et Freud ; la coexistence entre autrichiens, Allemands et les Juifs ; Moscou et l’accélération du temps ; Thédore Herzl, la Neue Freie Press et la naissance du sionisme ; La Belgique et Emile Verheren (+ 1916) poète du monde moderne ; Paris, l’héritage de la Révolution et Romain Rolland ; Rainer Maria Rilke le pur poète et Rodin la concentration. Durant cette heure, j’avais vu à découvert le secret éternel de tout grand art et même, à vrai dire, de toute production humaine : la concentration, le rassemblement de toutes les forces, de tous les sens, la faculté de s’abstraire de soi-même, de s’abstraire du monde, qui est le propre de tous les artistes. J’avais appris quelque chose pour la vie.

Puis bien sur il y a 14 où malgré tout le poète, l’écrivain pouvaient donc parler avec quelques chances de succès, en ce temps où l’oreille et l’âme n’avaient pas encore été submergées par les flots incessants et bavards de la radio. Il y a 39, l’entre-deux guerres et l’agonie de la paix dès 34 où ce témoin du coeur de l’Europe dénonce, crie, décrie et se désole. Il bouscule ces criminels que furent certaines puissances financières armant ces fous usant de la parole pour créer une atmosphère propice aux cataclysmes, ce mensonge de la guerre.

  • Au fond des bourgs et des campagnes
  • On prenait peur d’être un vivant,
  • Car c’est là ton crime immense, Allemagne,
  • D’avoir tué atrocement
  • L’idée
  • Que se faisait pendant la paix,
  • En notre temps,
  • L’homme de l’homme

Emile Verhaeren, Les ailes rouges de la guerre

« Et si je l’écrivais aujourd’hui, ne verrais-je pas avec terreur s’avancer un monde nouveau… »

Si les écrits de Stefan Zweig sont libres de droits depuis 2102, les traductions de Alzir Hella, décédé en 1953, ne le sont évidemment pas. N’attendant pas 2023, de nouvelles traductions fleurissent mettant à disposition l’œuvre de Stefan Sweig au plus grand profit des traducteurs, des lecteurs et des éditeurs. Et puis une traduction ne vieillirait-elle pas aussi ?

Un clin d’oeil à George B qui me fit partager cette lecture.

Livre de poche, 21ème édition 2014, 1996 avec la nouvelle traduction de Serge Niémetz, 500 pages, 7,60€

Lectori salutem, Pikkendorff

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