« Mon collègue est un de ces hommes des Lumières qui vont à la messe, variété plus fréquente en Espagne qu’on ne croît. »
Un magnifique roman d’aventure intriqué avec la formidable aventure intellectuelle et politique du XVIIIème siècle : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 28 volumes, 72 000 articles, 16 500 pages, 17 millions de mots…
Par quels détours l’édition originale de l’Encyclopédie a-t-elle pu trouver le chemin de la très ou trop catholique Espagne des années 1780 ?
Et Arturo Pérez-Réverte de nous transporter d’un coup de plume sur les mauvaises routes reliant Madrid et Paris accompagnant deux académiciens, don Hermógenes Molina et don Pedro Zárate, deux hommes de bien, chargés, en évitant embûches et chausse-trapes, de rapporter l’instrument des lumières et du progrès en traversant une Europe toujours plus ébranlée, où les anciens trônes chancellent et tout paraît changer trop rapidement.
Arrivés à Paris, nos deux compères accompagnés du magnifique personnage de l’abbé Bringas, un espagnol fanatique de liberté, arpenteront la ville-philosophe, la ville des Lumières et de d’Alembert, en tentant d’éviter traitrises et embûches jusqu’à trouver le graal.
Nulle société sur terre n’a pu ni voulu conférer irrévocablement à ses chefs le droit de lui nuire. (Paul Henri Thiry Holbach, Système de la Nature, 1770.)
L’astucieuse composition de l’ouvrage propose des allers-retours entre présent et passé, entre fiction et réalité. Pérez-Reverte nous emmène ainsi visiter au long du périple de nos académiciens les villes, places et hostelleries montrant combien la géographie actuelle est empreinte d’un passé toujours présent à nos yeux.
L’histoire de l’Espagne est scrutée avec bienveillance pour y trouver les racines de ses possibles et de ses impasses, de ses révolutions, de sa radicalité, de la liberté…Une Espagne qui, au lieu d’un essaim de théologiens, d’avocats, d’écrivassiers et de latinistes, aurait des astronomes, des chimistes, des architectes et des hommes de science ?
Ce magnifique livre restera en votre mémoire comme don Pedro Zárate en celle de Madame Dancenis : Il est des hommes qui traversent votre vie sans laisser de trace, et d’autres qui y demeurent, et que l’on n’oublie jamais. Je compte rester dans votre mémoire.
L’aventure de l’Encyclopédie :
L’édition de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettre a été une considérable aventure.
Depuis l’appel aux souscriptions en 1750, la parution des deux premiers volumes en 1751, les attaques et les interdictions malgré des protecteurs puissants virent D’Alembert renoncer, Denis Diderot publier clandestinement les dix derniers tomes 1765 et les derniers volumes de planches illustrées enfin publiées sans la participation de Diderot en 1772.
Au total, en trente ans, auront été publiés 28 volumes auxquels ont participé environ 200 auteurs, y compris les plus réputés de leur temps : Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Condorcet, Quesnay, Turgot, Marmontel, Helvétius, le baron d’Holbach…(voir l’article sur Hérodote)
De la première de couverture
Un fin lecteur et fine lame de surcroît, Jean Dosdat, remarque que la carte utilisée pour illustrer la première de couverture montre le quai Voltaire fut créé en 1791 soit un demi siècle après les événements romancés.
Des sources :
- Carte des Postes de France par Bernard Jaillot, 1738 : cliquer ici
- La carte de Madrid de 1785 de Tomás López : cliquer ici
- La cartographie des routes espagnoles, 1775, Jospeh Mathias Escribano : cliquer ici
- Une description du rôle et du travail accompli par la Real Academia Española : cliquer ici
- Un entretien avec Arturo PérezReverte en Avril 2017 sur RTL cliquer ici
- Le très complet wiki sur l’Encyclopédie : cliquer ici
Paru en 2015 sous le titre Hombres buenos chez Penguin et traduit par l’excellent Gabriel Iaculli en 2016 pour Seuil.
Seuil, Mai 2017, 500 pages et un raisonnable 22,50€
Lectori salutem, Patrick