Paul Greveillac – Maîtres et Esclaves

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« Dans les pays vraiment révolutionnaires, vraiment égalitaristes, la hierarchie saute toujours aux yeux. »

La rentrée littéraire vous offre une œuvre magnifique. La vie de Tian Kewei, paysan du Sichuan, peintre génial, dans les convulsions de la Chine des années 50 à Juin 89. Le regard distancié et amoureux, attentif et sans jugement, de Paul Grevilhac peint cette extraordinaire fresque historique mêlant l’intime et le général pour le plus grand bonheur des amateurs de roman et d’histoire.
Si son père, Tian Yongmin, conservât sa liberté d’artiste fidèle aux grands maîtres Huang Binhong et Qi Baishi, Tian, coopté par le Parti, peintre génial, ne cessera d’être un paysan hanté par la famine. Il mit son génie au service de la propagande, préférant la sécurité à la liberté reniant sa famille, les paysans, le Sichuan et son art.
Depuis Mécène, les artistes n’ont-ils pas toujours eu à composer entre la misère et la liberté, entre art et pouvoir ? Virgile écrivant sur commande l’Enéide n’offrait-il pas à Rome une légende et à Octave une ascendance bénie des Dieux.

Les 12 paysages de QI Baishi (1864 – 1957)

À trente ans Kewei ne reconnaît plus sa Chine. Tout change si vite. Rien n’est permanent. Les bonnes solutions d’hier sont nos condamnations du jour. Comme l’a écrit Georges Büchner dans son drame La mort de Danton (guillotiné en 1794) : La révolution, comme Saturne, dévore ses propres enfants.
Son compagnon d’étude, Li Le Pinceaux, est resté fidèle à sa liberté d’artiste en survivant aux marges. Et lorsque dans les annnées 80 l’art prend possession de la rue, un souffle nouveau bouge les lignes, Xiazhi, son fils, rejoint l’intransigeante liberté de Li Le Pinceaux.

« Il se mit à trembler. Il revoyait les chenilles des taks, et le sang de son fils. »

paysages des monts du sud Huang Binhong

Lisez juste les permières lignes du roman et voyez le tableau apparaître.

« Le brouillard faisait au monde une page blanche. Laiteuse. Opaque. Épaisse toile grisaille ou écran de fumée. Cadre vertigineux, étouffant de son vide toute velléité chromatique. Sur ce néant, pourtant, se détacha bientôt une forme grise. Flammèches de cendres aux contours indécis. Vulnérable sous la cloche maintenue – pour combien de temps encore – deux doigts au-dessus du bougeoir. Elle allait, cette silhouette. Et si elle vacillait, c’était à cause des chaos de la montagne. À cause de ses pieds, vifs, qu’elle n’avait jamais bandés, mais chaussés de simples sandales de pailles. Elle semblait un corbeau aux ailes brisées : car elle portait, sur ses épaules, une palanche, et de part et d’autre de la phalange de seaux alourdis de grains. »

Que Lucile, ma libraire à la librairie-café La Suite à Versailles, soit remerciée.

Gallimard, Juin 2018, 457 pages pour largement mérité 22€

Lectori salutem, Patrick

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