Philipp K Dick – Le profanateur (The man who japed)

Dans la société hautement moralisé e de l’an de grâce, 2114, les assemblées hebdomadaire s fonctionnai en t selon un système de roulement. Les surveillant e s de l’ensemble des unités d’habitation du voisinage y particip aient , formant une espèce de jury dont celle de l’îlot en cause assur ait la présidence.” (page 71)

Dans un monde imaginaire, multi-planétaire et technologique domine un système politique acéphale, le Rémor, marqué par une stricte morale publique et une surveillance de tous les instants.

A l’image de La Plaisanterie de Kundera, un jour, Allen Purcell, jeune cadre dynamique se découvre en contradiction avec les valeurs du Rémor pour un détail, une phrase, un mot. Et au lieu de plier, d’accepter comme le font la plupart des gens tous systèmes politiques confondus, il commet un blasphème sur La Statue du Major Streiter, le créateur du Réarmement Moral cristallisant alors les tensions sous-jacentes de la société permettant à Philipp Dick (1928 – 1982) de critiquer la société américaine et lemaccarthysme des années 1950. Une critique que le lecteur actualisera sans peine avec les thèmes du jour !

Cette vieille ladrerie protestante était assez typique de l’éducation du Rémor. Il ne fallait rien gaspiller. Toujours marchander jusqu’au dernier sou.” (page 88)

L’univers dickien
Certes cette dystopie écrite en 1956 présente des faiblesses narratives reprises ici ou là dans les critiques. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Les fondamentaux dickiens sont là, l’oeuvre est en marche.Lisez le Dickien, tout l’univers dickien : livres, nouvelles et films.

– T e voilà avec ce poste de directeur de T élémédia. Gardien suprême de la moralité publique. Tu crées la moralité publique. Quelle situation tordue.
– Je tiens à ce poste.
– Oui, tu as un sens aigu de la moralité. Mais ta moralité n’est pas celle de cette société. Les assemblées de résident s , tu trouve s ça répugnant. Les accusateur s anonyme s . Les juvénile s qui four rent leur sale nez partout. Cette foire d’empoigne absurde pour obtenir un bail. L’anxiété permanente, la tension et le stress. […] . L’atmosphère de soupçon, de culpabilité qui s’insinue partout. La peur de la contagion ; la peur de commettre un acte indécent. L e sexe morbide. Les gens qu’on pourchasse pour avoir accompli un acte naturel. Toute la structure ressemble à une espèce de salle de torture s géante où tout le monde s’é pi e pour trouver une faiblesse chez l’autre, pour l e démolir. Chasse aux sorcières et tribunaux d’acquisition. Terreur et censure. Le s pisse-froid qui interdisent les livres. Les enfants à qui on empêche d’entendre les choses ”immoral es” . Le Rémor a été inventé par des esprits malades, et il en engendre sans cesse de nouveaux.
” (page 179)

Entre hier et aujourd’hui
Philipp Dick écrit après la catastrophe de la 2ème guerre mondiale. La guerre se prolonge en Corée. La guerre froide est très chaude au contraire. N’oublions pas que la jeunesse des années 50 et 60 vit avec la présence réelle de la bombe A, de l’accident. Le maccarthysme fait règner jusqu’en 1954 une hygiène morale terrifiante.

Toutes les opérations de contrôle étaient effectué e s par des robots, ainsi que le déchargement, la vérification des marchandises, leur acheminement jusqu’à l’entrepôt et leur stockage. L’élément humain n’intervenait qu’avec les vendeurs et les acheteurs.” (page 92)

Curieusement le roman peut résonner avec notre époque avec de nombreuses inversions.
Dans les années 50 le parti Démocrate, la gauche intellectuelle, l’université et les artistes étaient dans l’opposition contre la guerre, la surveillance, le maccartysme, la réduction des libertés.

Aujourd’hui ce sont ces mêmes forces dites de gauche devenues majoritaires qui accentue le déracinement de l’individu, supportant le système corrompu médiatico-militaire, la société de vigilance macronienne, les religions post-scientifiques du catastrophisme climatique, de la déconstruction woke avec les même mécanismes d’hygiène mentale et de terrorisme déployés lors de la période du maccarthysme. Fascinant !

Quand a été écrit le texte ci-dessous ? 1949 ou 2023 ?

« Ici, l’atmosphère politique générale, surtout dans les universités et les collèges (à l’exception des très grands), est actuellement peu agréable. La chasse aux rouges est en marche et les intellectuels américains, surtout dans la mesure où ils ont un passé radical et sont devenus antistaliniens au fil des années, se mettent en quelque sorte à l’unisson du département d’État »

Hannah Arendt dans sa correspondance avec Karl Jaspers en 1949 cité dans Wikipedia

Remerciements

  • Merci à Franck pour cette excellente idée de lecture. Mon premier Philipp Dick à plus de 60 ans ! Shame on me !

Une belle chronique de Ted : https://www.undernierlivre.net/philip-k-dick-le-profanateur/

Références et liens

Titre original : ”The man who japed” qui littéralement peut se traduire par ”L’homme qui s’est mis à jaser”. Édité à l’origine en 1956 chez A.A Wyn

Traduit de l’anglais américain par Philippe Lorrain et Baudouin Panloup en 1977 pour les éditions Grasset.

Emprunté à la bibliothèque de Versailles

J’ai lu, 2015 (première édition en 1956), 250 pages, 7,90€

Lectori salutem, Pikkendorff

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