Sébastien Lapaque – mythologie française

Puis le ciel de Paris, à nouveau, les marronniers en fleurs de l’avenue Gabriel, les motifs de la nuit, se colorant de bleu, la rue de Rivoli, le claquement sec des talons sur les dalles usées, Jean-Joseph et Christina à ses côtés – à son bras, il aimerait bien, c’est elle qui ne veut pas.”

La plume de Sébastien Lapaque, ce doux recès qui fait du bien à l’âme. Douze nouvelles à l’écriture élégante et poétique. Une douceur, une langueur et d’un coup le tranchant d’un mot, d’une situation.
Accordez-vous trois heures de beauté en compagnie de la langue française, notre héritage, ici magnifié.

EXTRAITS

Il avait connu des marches de nuit dans la brousse, arme à l’épaule, cœur en bandoulière, et des assauts téméraires, pour prendre une ambassade ou un poste frontière ; des coups d’Etat manqués et des colloques infinis dans de grands hôtels déserts, à l’heure où seul le whisky peux rallumer les rêves.” (Page 23)

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– Nostalgie de la classe ouvrière ?

– Je ne comprends pas ! On dirait le titre d’un roman publié par les communistes au milieu des années 50. Lent, lourd, pontifiant… Tout le contraire de ce que demande l’époque… Le monde change, ce n’est pas à quelqu’un de votre génération que je vais l’apprendre. Entendez-moi bien : je n’ai rien contre la classe ouvrière. Mais vous savez comme moi qu’elle n’existe plus.” (Page 41)

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Ce qu’il est permis d’exiger en compensation d’un prêt, ce sont ces biens qui ne s’apprécient pas avec de l’argent : la bienveillance et l’amitié.” (Page 49)

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La scène est à Paris, dans les commencements d’un siècle. Volonté de puissance, ronronnement des ordinateurs, carnage climatisé, mugissement des machines, joie mécanique des corps, liberté affectée, imaginations lourdes et noirs. C’est la guerre.” (Page 61)

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« Une route de forêt. La nuit. On annoncent partout la guerre, les gueux colportent la nouvelle, reprise en chaire par des frères prêcheurs, vêtus comme des mendiants. L’orgueil brutal des hommes bouillonne dans la marmite du diable. Partout, les fils lèvent les armes contre leur père, les frères se déchirent sur le sein de leur mère. Des armées barbares déferlent sur les abbayes, égorgent les moines et dispersent les reliques des saints. L’Empire agonise, de nouvelles hérésies s’inventent à la croisée des chemins. Et toi, tu chantes pour défier la peur, tu fais teinter le cristal de ta voix dans le fer et le feu d’un siècle en miettes. » (Page 67)

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Plus tard, Octave avait expliqué à Aurore que l’odyssée de l’âme séparée du corps prolonge les voyages de la conscience rêveuse. Libérée, l’âme avance dans des images des souvenirs et son éternité leur ressemble. L’enfer, c’est la possibilité, jamais accomplie peut-être, qu’une âme demeure prisonnière de sa part d’ombre, que l’au-delà de la chair soit pour elle un cauchemar. La béatitude, c’est un glissement soyeux dans les jardins de l’être où l’âme goûte la simplicité auprès du dieu. Entre les deux, il y a la peine due à la faute, des images qui poursuivent l’âme, se changeant en visions rayonnantes à mesure que se dissipe le désordre qu’elles portent.” (Page 97)

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Puis le ciel de Paris, à nouveau, les marronniers en fleurs de l’avenue Gabriel, les motifs de la nuit, se colorant de bleu, la rue de Rivoli, le claquement sec des talons sur les dalles usées, Jean-Joseph et Christina à ses côtés – à son bras, il aimerait bien, c’est elle qui ne veut pas.” (page 149)

C’est beau, n’est-il pas?

Actes Sud, Bertrand Py, 2002, 151 pages de poésie en prose pour un modeste 14,50€

Lectori salutem, Pikkendorff

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