Roman d’une femme sépharade, orientale décrivant un monde vieux de 35 siècles disparaissant l’espace d’une génération. Cet ouvrage est le cri silencieux de cette rupture d’avec la terre, l’esprit et la famille. Eliette Abécassis nous ouvre les clefs de lecture du monde des sépharades.
“Je suis venu pour te révéler le secret des sépharades.” Ces Juifs, chassés vers l’Espagne (la Sépharade) sous Titus, puis en 1492 vers le Maroc et enfin après guerre l’exode de nouveau vers Israël ou la France, ont une histoire commune et particulière, une identité multiple. “Nous venons tous d’un pays, d’une ville, ou d’une rue qui nous définit et nous marque à jamais. ” C’est là le grand thème de l’ouvrage : Les identités multiples qui marquent consciemment ou inconsciemment la vie de chacun.
C’est avec grand intérêt que se lisent les 250 premières pages. Avec talent, Eliette Abécassis trouve, sous le couvert d’une histoire d’amour, les mots pour nous intéresser à l’histoire des Sépharades et à ce qui en constitue profondément la société. Elle souligne l’importance de la famille au-delà de l’individu, l’origine orientale imprégnant mœurs et coutumes et s’attache à décrypter la société juive marocaine. “Les sépharades…sucré-salés, doux-amers, drôles et nostalgiques, généreux et orgueilleux, sincères et hypocrites, les sépharades entre rires et pleurs… ”. “Sépharades : faire semblant, ne pas dire ce qu’on pense, et ne pas penser ce qu’on dit, dire une chose et en faire une autre, faire mille promesses et ne jamais les tenir, donner des rendez-vous et ne pas venir – ce rapport à la parole qui fait qu’elle est vraie sur le moment, mais plus le lendemain. Pour le sépharade, la parole est intimement liée au temps, alors que, pour l’Occidental, la parole lutte contre le temps, elle est ce qui perdure dans le fleuve d’Héraclite. ”
“La Délivrance arrivera quand toutes les étincelles de sainteté seront réunies dans la lumière divine. C’est à l’homme d’agir pour cela. Dieu, lors de la création, s’est retiré du monde pour que l’homme soit libre. Notre Dieu est un Dieu absent, dont on ne sait pas prononcé le nom, un Dieu qu’on essaye d’invoquer par l’appellation mystérieuse, sans jamais savoir qui il est.”
C’est avec cette grille de lecture, toujours dans la cadre d’un roman, qu’Eliette Abécassis élargit, avec clarté, le champ d’analyse en décrivant la relation des Sépharades avec Israël et sa structure politique, les ashkénazes, l’Occident, la France, l’Islam, à la Modernité, au Monde.
Le Livre III avec ses deux cents pages de pathos, de sentimentalisme est à lui seul un roman d’amour à conseiller pour les clients.
J’aurai quelques retenus lorsque Eliette Abécassis tient absolument à démontrer jusqu’à l’absurde que nos émotions, nos comportements s’expliquent par l’histoire séculaire ou lorsque Eliette Abécassis s’appropriant Montaigne – controverse connue, sans intégrer le caractère humaniste des Essais. Par exemple l’idée que seule la mère juive est étouffante est une faute de l’esprit.
Lisez cet excellent ouvrage paru chez Albin Michel, 450 pages, 22€ et profitez-en pour lire Chaïm Potok.
Lectori salutem, Pikkendorff