Une œuvre qui fera date. Dans la lignée de l’Histoire de France de Jacques Bainville, Eric Zemmour, d’une plume vivante et magistrale, avec décision et retenue, traversant les siècles, boussole en main, distingue les lignes de fracture, cachées, pour d’autres, de la politiques, de l’économie et des sociétés, bulletin de naissance de la France et de l’Europe depuis l’établissement de la Pax Romana.
La France, puissance démographique jusqu’en 1812, dont Michelet disait “La France n’est pas en Europe ; elle est l’Europe.” cherche à prendre la place de l’Empire perdu, renovatio romano imperi. L’Europe de Charlemagne de 843, l’Empire de 1811, l’Europe du Traité de Rome de 1957 ne se résument-elles pas toutes au même espace géographique : hors l’hexagone, la Belgique, les Pays-Bas, la Rhénanie, le Piémont et la Toscane : la Gaulle romaine reconstituée. Cette Europe française était la France.
Cet essai introduit le rôle du commerce et du libre-échange depuis le milieu du XVIIème, démontre le rôle secret du Royaume-Uni puis l’Amérique dans l’histoire française et européenne jusqu’à nos jours. Le ton change. L’ennemi doit être détruit. Car ce n’est pas le doux commerce qui a fait la fortune du Royaume Uni, mais l’implacable défense militaire du commerce.[…] William Pitt père disait :“ Le commerce, c’est votre dernière ligne de défense, votre dernier retranchement. Vous devez la défendre ou périr”.
Depuis l’édit de navigation de 1651, la nouvelle Carthage combat la nouvelle Rome. L’Empire thalassocratique combat l’Empire continental. Le XVIIIème siècle, ouvert par la défaite du traité d’Utrecht et le soir du Roi Soleil, est un miroir aux alouettes. Apparemment tout est fête des sens et de l’intelligence, luxe, volupté. En vérité tout est dette, ruine et déclin. 1812, l’Angleterre, la nouvelle Carthage a vaincu, certes de peu, la nouvelle Rome. Et puis qu’est donc l’Amérique sinon le résultat de la guerre mondiale de 1914-1945, la nouvelle puissance thalassocratique perpétuant un modèle basé sur le libre échange donc guerrier.
A noter une analyse documentée sur 1917, le rôle de l’Amérique ou comment été arrêtée l’offensive de Mangin donnant préférence à l’immobilisme de Pétain. L’histoire apprise à l’école est vraiment simpliste.
Les deux derniers chapitres tentent de lire le futur dans le présent à l’aide du passé.
Tout d’abord alors que la mode est à la mondialisation, la constitution de grands ensembles, des forces sont à l’œuvre dans le monde entier luttant contre ce tropisme. Eric Zemmour prend la Belgique pour laboratoire démontrant l’impossibilité de coexistence de populations par trop différentes et prenant pari sur l’avenir.
Enfin la France, certes de nouveau puissance démographique à contrario du reste de l’Europe, pose la question de sa propre stabilité. Prenant ombrage de la multiplication de territoires où les lois de la République ont du mal à s’appliquer, imperium in imperio, Eric Zemmour prend à témoin des élus locaux, des chiffres indiscutables et l’histoire elle-même posant la question de l’intégration moderne versus le processsus d’assimilation de la IIIème République héritière de Rome : La France continue d’assumer l’héritage de l’Empire Romain. Partout les Français assimilent selon son modèle : des armées, des routes, des codes et des administrations.
Le travail et l’érudition demanderont plusieurs lectures de l’ouvrage. Il se doit d’être lu par tout honnête homme. Soyez certains que les idéologues ne discuteront pas de l’ensemble de l’œuvre qui remet en cause leur histoire officielle et confortable mais sortiront de leur contexte tel ou tel phrase ou mot, feront tapage sur trois mots ou deux phrases. Car comme disait Bossuet “Le plus grand dérèglement de l’esprit est de croire les choses pour ce qu’on veut qu’elles soient et non pour ce qu’elles sont”. Pour les autres, il sera sujet de discutions, de polémiques, de recherches et peut-être la France en sortira-t-elle grandie.
De l’histoire et de la mémoire : “Un siècle plus tard l’histoire n’est plus rien, la mémoire tout. La mémoire, dégradé intimiste de l’histoire, elle-même dissoute en une variété de mémoires, des mémoires dans la mémoire, comme on dit un état dans l’état, qui rivalisent, s’affrontent et, vindicatives, demandent des comptes à l’histoire de France déboulonnée.”
Je trouve enfin particulièrement remarquable qu’Eric Zemmour ait réussi à éviter le piège évident de ce type d’exercice décrit par Henri Bergson “Comme ne pas voir que si l’évènement s’explique toujours, après coup, par tels ou tels des évènements antécédents, un évènement tout différent se serait aussi bien expliqué, dans les mêmes circonstances, par des antécédents autrement choisis – que dis-je ? – par les mêmes antécédents autrement découpés, autrement distribués, autrement aperçus enfin par l’attention prospective. D’avant en arrière se poursuit un remodelage constant du passé par le présent, et de la cause par l’effet !”
Fayard, 17€, 250 pages, Bravo à Eric Zemmour et vive la disputatio.
Lectori salutem, Patrick