Le premier homme, œuvre au fort parfum autobiographique, en cours de création lors de la disparition accidentelle de l’auteur en 1960. D’aucuns, comme a pu le dire Jean-Claude Brisville, son secrétaire à Combat, regretteront la parution d’une œuvre manifestement inachevée. Pour ma part l’édition de Gallimard de 1994, composée sur la base du manuscrit retrouvé dans sa sacoche en Janvier 60 et d’une première dactylographie de Francine Camus, accompagnée de la main d’Albert Camus des variantes écrites en superposition, des ajouts en marge, des feuillets ainsi que les notes et plan contenu dans son carnet original, est formidable à plus d’un titre.
D’abord lire un roman inachevé, une œuvre en marche, avec ses variations, ses notes accompagné du plan, est formateur pour tous les romanciers et littérateurs en herbe,
Et puis Le premier homme est une œuvre tirant sa force de sa simplicité voir de son austérité. Sans le sentimentalisme contemporain, Albert Camus nous fait partager depuis le déracinement et la déportation de Français en 1848 et 1870 vers l’Algérie jusqu’aux années 50, le point de vue du ou des pauvres dans cette société sur cette terre d’Afrique. C’est l’occasion pour Albert Camus de nous faire sentir la différence de perception d’une même réalité entre différentes couches de la population qui se croisent souvent sans se voir et surement sans pouvoir se comprendre.
Engagement humaniste avec des ennemis à droite et des ennemis à gauche, Albert Camus est contemporain et se doit d’être lu et relu notamment dans le cadre des grandes migrations africaines vers l’Europe.
Ce livre fait partie de la liste de lecture d’Alain Finkielkraut dans son ouvrage Cœur Intelligent. Merci Monsieur Finkielkraut, vous avez une fois de plus tapé dans le mille.
Quelques extraits
Dans certaines circonstances, un homme doit tout se permettre et tout détruire. Mais Comery avait crié comme pris de folie furieuse : “Non, un homme ça s’empêche. Voilà ce que c’est un homme, ou sinon…”. Et puis il s’était calmé. “Moi, avait-il dit, d’une voix sourde, je suis pauvre, je sors de l’orphelinat, on me met cet habit, on me traîne à la guerre, mais je m’empêche.” – page 66
Et lui qui avait voulu échapper au pays sans nom, à la foule et à une famille sans nom, mais en qui quelqu’un obstinément n’avait cessé de réclamer l’obscurité et l’anonymat[…] cheminant dans la nuit sur la terre de l’oubli où chacun était le premier homme, où lui-même avait du s’élever seul, sans père […] t il lui avait fallu apprendre seul, grandir seul, en force, en puissance, trouver seul sa morale et sa vérité, à naître enfin comme un homme pour ensuite naître aux autres, aux femmes, comme tous les hommes nés dans ce pays et qui, un par un, essayaient d’apprendre à vivre sans racines et sans foi et qui tous ensemble aujourd’hui où ils risquaient l’anonymat définitif et la perte des seules traces sacrées de leur passage sur cette terre, les dalles illisibles que la nuit avait maintenant recouvertes dans le cimetière, devaient apprendre à naître aux autres, à l’immense cohue des conquérants maintenant évincés qui les avaient précédés sur cette terre et dont ils devaient reconnaître la fraternité de race et de destin. – page 180 et 181
Lectori salutem, Patrick