“Rien n’est tout à fait fortuit. Depuis des siècles l’Art et la Fiction entretiennent d’intimes relations, l’un avec l’immédiateté, l’autre avec la durée. La peinture montre à voir, les romans et la poésie déchiffrent des messages. Ces quelques évocations des auteurs de chevet et des œuvres qui ont nourri ma vie disent ma gratitude. Nous sommes leurs enfants rebelles ou soumis. J’ai vécu leurs œuvres. Je me suis baigné sur une plage de Corfou avec Ulysse et Nausicaa, j’ai marché dans Milan avec Stendhal, été à Guéthary avec Toulet, navigué en mer du Bengale avec Conrad, retrouvé Larbaud quelque part en Europe, médité avec Braque à Varengeville, passé une journée à Manosque chez Giono et Morand m’a suivi partout. Nicolas Poussin est dans mon panthéon. Je leur dois bien quelques lettres de château.” – page 13
Lettres de château, 165 pages de délicatesse et d’élégance servant la vie et l’œuvre d’artistes et écrivains qui traversèrent le siècle avec la hauteur qui manque tant à notre contemporanéité.
- Valéry Larbaud et son AO Barnabooth ouvrant la voie à l’Ulysse de Joyce.
- Joseph Conrad, inclassable, qu’il n’est pas inutile de découvrir en anglais et en français. “En français il est possible que Conrad atteigne une dimension métaphysique et une puissance incantatoire que la langue anglaise atteint moins aisément dans sa concision si merveilleusement articulée sur les choses de la mer et de l’art de naviguer, si parfaite dans l’émotion retenue des froids rapports de l’amour et de l’amitiés. Ce triomphe dans les deux langues […] place Conrad au cœur d’un royaume à part dont il est à la fois le messager, le témoin et le juge.” – page 27
- Edouard Manet, une longue et magnifique méditation sur le déjeuner sur l’herbe.
- Jean Giono. “Giono a volé le feu sacré, affronté le monde et dénoncé ses crimes, porté en pleine gloire ses passions saintes ou funestes, sordides ou magnifiques, rappelé que rien n’est donné ; que tout est à conquérir, et que sans caractère il n’est point de conquête. Seules les âmes fortes ont droit au respect et au pardon. Et parfois, à notre compassion.” – page 60
- Nicolas Poussin, clef et apogée de la peinture du siècle de Louis XIII et Louis XIV.
- Paul-Jean Toulet, souvenirs magnifiques, des lignes tendres et délicates.
- Braque, “Hier encore, nous feuilletions chez un libraire le dernier livre illustré par Braque : Si je mourais là-bas, des poèmes d’Apollinaire accompagnés de dix-huit bois en couleur. Ces poèmes avaient été choisis en 1917 par Braque à qui le poète les lisait pendant sa convalescence. Tous deux avaient été blessés à la tête. Cette édition était un livre souvenir pour les 80 ans de l’artiste. Mon poète et mon peintre…Il y a des bonheurs de hasard qu’aucune volonté n’invente.” – page 60
- Guillaume Apollinaire et ses passions, ses lettres, ses poésies.
- Stendhal, “les écrivains ont toujours un moyen radical de penser leurs blessures. Ils les rouvrent et les offrent au public.” – page 145
- Et enfin un entretien avec Paul Morand au pessimisme réconfortant.
“Que cherchons-nous en lisant des romans ? La vie d’un autre, les vies de ceux dont nous séparent des conventions, des respects, des timidités, des ignorances et aussi, très souvent, l’argent et la naissance qui ouvrent tant de portes ? Chaque lecteur a sa propre lecture, intrinsèquement semblable à son égo. La baguette de fée du romancier abolit les distances et le temps, se joue de la logique et ordonne le hasard. En somme le roman est la clef de nos songes au prix d’un effort très minime : la lecture.” – page 15
“Que cherchons-nous en écrivant des romans ? Double est la réponse, métaphysiquement : un supplément d’âme ou, comme le voulait Stendhal, per sforgarsi. Pour se soulager.” – page 23
Paru en en 2009 chez Gallimard, 16 €, 160 pages
A lire, relire et à serrer dans votre panthéon.
Lectori Salutem, Pikkendorff