Curieux ouvrage. La quatrième de couverture annonce une réécriture de l’histoire vécue ou fantasmée dans un récit aussi ambitieux que personnel, dont acte. Je suis déçu. Que Tony Cartano, Directeur littéraire aux Presses de la Renaissance (Des livres pour construire l’Homme) nous ouvre une porte et nous permette de voir la guerre civile espagnole de l’œil d’un fils de commissaire politique révolutionnaire m’a passionné. Mais, pour moi, cela n’est possible que par une mise en perspective, si le récit est rééquilibré par les connaissances des faits historiques réels même controversés, que les méchants ne soient pas toujours les mêmes et que l’écriture soit aussi légère que le contexte est difficile.
Malheureusement le texte ne s’élève pas au-dessus de la dogmatique. J’aime chez A, cette promptitude à la colère, à l’indignation, au dégoût et aussi le goût d’une certaine qualité d’héroïsme, ce que Stendhal eût appelé son espagnolisme. Mais les choses sont ainsi faites que si le lecteur est de gauche, il retrouve le discours habituel sur la guerre d’Espagne, si il est de droite, il lâche le livre au bout de 20 pages en se disant que A est un terroriste et que Franco avait bien raison et si, comme moi, il recherche une réalité composite, il sera coincé dans une réécriture partiale de l’histoire alimentée par des jugements hâtifs sur la politique contemporaine comme “L’identité nationale n’avait probablement pas les relents nauséabonds d’aujourd’hui. ”
En bref, déçu et désappointé, j’ai fermé le livre en son milieu, près de 120 pages tout de même, lassé à la fois d’une écriture lourde contrastant avec le talent habituel de Tony Cartano et de ce choix de mélange des genres qui désarme le lecteur perdant sa faculté de jugement, de critique, ne sachant plus, dans un contexte historique précis, ce qui tient de l’imaginaire et de la fiction et de l’opinion.
“Pour tout dire, à rebours, qu’est-ce qu’un héros ? Le débat a eu lieu, à de multiples reprises. Et la question reste ouverte. A-t-elle vraiment un sens ? Aujourd’hui, soixante ans plus tard, je soupçonne que non. Il y a la vérité des faits et l’improbabilité des circonstances. Sans plus.”
Je crains qu’à l’examen, la vérité des faits et l’improbabilité des circonstances ne soient qu’une aporie.
Finalement page 116, Tony Cartano ouvre la porte non sur l’histoire mais sur son histoire.
“Ma mémoire, même en dans les temps d’interrogation inquiètes, s’est toujours accommodée des trous et des manques. C’est finalement le plus fascinant, cette incertitude, ce creux. Il m’aura fallu des années – et peut-être l’expérience d’une dizaine de livres écrits –pour succomber à la tentation d’écrire celui-ci. A l’origine j’ai eu sans doute, et pour des raisons tout à fait étrangères au sujet, la faiblesse d’imputer mon incapacité à cette absence de documentation ou de socle comme l’on dit dans le jargon du romancier. Rideau de fumée. Faire du père l’objet d’une fiction n’est pas sacrilège, surtout si l’on considère qu’il fut un être d’illusion, entièrement façonné par l’utopie. Du coup le plus difficile, c’est de se sentir tenu soi-même de se remettre en question, en tant qu’homme et en tant qu’écrivain. Il n’est plus qu’un seul recours : l’imagination. Cherchez l’erreur. C’est dans l’abus que j’ai puisé la confiance qui m’avait fait défaut si longtemps. ”
La famille et les amis de Tony Cartano se féliciteront de l’écriture de cette ouvrage mais le grand public n’en est pas le destinataire. Le temps étant compté, je considère avec Rivarol que “c’est une œuvre qui n’est pas proportionnée à la brièveté de la vie, et qui sollicite un abrégé dès la première page.”
Veuillez noter que ce livre a été chroniqué dans le cadre du partenariat Rentrée Littéraire 2010 avec Chroniquesdelarentreelitteraire.com et Ulike
Lectori salutem, Pikkendorff