Fatima Mernissi – Rêves de femmes- une enfance au harem

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“La frontière est une ligne imaginaire dans la tête des guerriers”.

Courte, dense, passionnante, fiction et réalité, histoire d’une femme, histoire d’une famille, histoire du Maroc vers l’indépendance et le nationalisme apportant dans ses bagages, un combat en entraînant un autre, l’éducation et sa conséquence l’émancipation des femmes et l’ouverture d’une société vers ce qui n’était pas là hier. Des yeux d’une petite fille décrivant son monde, le livre devient lutte contre une société luttant contre les droits de la personne, commencé comme un conte avec Shéhérazade, l’ouvrage devient instrument de combat contre le pouvoir caché derrière la tradition.

Pour raconter cette période, Fatima Mernissi ( فاطمة مرنيسي), née à Fès dans un harem au sein d’une famille de la haute bourgeoisie marocaine, universitaire et sociologue reconnue internationalement autant de par ses ouvrages que par son action civique. Tout, dans sa délicate écriture, démontre son amour et son respect pour sa famille, le Maroc, son histoire et sa religion. Mais l’amour se nourrit de liberté. Cet appel à la liberté individuelle, liberté de choix devient un combat lorsque la société refuse à l’amour, la liberté, et lui offre l’enfermement. La magie des mots portera son rêve : “Je me ferai magicienne. Je cisèlerai les mots, pour partager les rêves avec les autres et rendre les frontières inutiles”.

Fatima Mernissi nous prend par la main nous entraînant dans un monde inconnu et pourtant aujourd’hui si proche. Il faudra de l’attention au lecteur occidental pour ne pas caricaturer de par ses propres grilles de lecture les propos et les situations. Malgré les traditions décrites par le Père : “Quand Allah a créé la terre, il avait de bonnes raisons pour séparer les hommes et les femmes, et déployer toute une mer entre chrétiens et musulmans. L’ordre et l’harmonie n’existent que lorsque chaque groupe respecte les hudud. Toutes transgressions entraînent forcément anarchie et malheur”, pendant les années 40, les canons (sic), les hudud de la société marocaine volent en éclat avec l’occupation de troupes étrangères et la modernité et l’aspiration des femmes à un destin. Comment mieux dire : “ Je suis née en plein chaos, car, les chrétiens et les femmes contestaient constamment les hudud et les violaient sans cesse .”

Mustapha Kemal, dirigeant de la Turquie nouvelle née des décombres de l’Empire Ottoman, comprenant le lien organique entre harem et despotisme, abolit les harems, la polygamie, le port de fez pour les hommes et rendit le port du voile facultatif pour les femmes dès 1923. Dès 34, le droit de vote fut accordé aux femmes. Malgré sa disparition en 38, cette révolution fut portée par les ondes au monde musulman. “Mme Bennis était tunisienne, d’origine turque, et par conséquent extrêmement dangereuse. Elle mettait en pratique les idées révolutionnaires de Kemal Atatürk et se promenait en voiture, tête nue, dans l’Oldsmobile noire de son mai. Elle avait les cheveux teints en blond platine et coupés à la Greta Garbo.”

Le combat des mères et des Grands-mères pour leurs filles :

”Tant elle (sa mère) était soucieuse de me voir échapper à la tradition : Les projets d’une femme se voient à sa façon de s’habiller. Si tu veux être moderne, exprime-le dans les vêtements que tu portes, sinon tu te retrouveras enfermée derrière des murs. Certes les caftans sont d’une beauté inégalable, mais les robes occidentales sont le symbole du travail rémunéré des femmes”.

Debout et libre

“Il faut que tu lui tiennes tête les cheveux découverts. Il ne sert à rien de se couvrir la tête et de se cacher. Ce n’est pas en se cachant qu’une femme peut résoudre ses problèmes. Elle devient au contraire une victime toute désignée. Ta Grand-mère et moi avons assez souffert avec cette histoire de masque et de voiles. Nous savons que cela ne marche pas. Je veux que mes filles aillent la tête haute sur la planète d’Allah en regardant les étoiles.

Laissons terminer Fatima Mernissi décrire son combat qui est aussi le nôtre :

“Le concept de harem est intrinsèquement spatial, c’est une architecture où l’espace public, dans le sens occidental du terme, est inconcevable, car il n’y a qu’un espace intérieur où les femmes ont le droit d’exister et un espace masculin extérieur d’où les femmes sont exclues. C’est pour cela que la bataille actuelle de la démocratisation du monde musulman se focalise et tourne jusqu’à l’obsession autour du voile et l’enfermement symbolique des femmes (le monde arabe a l’un des prolétariats féminins les plus misérables du monde), et que dans les sociétés où la crise de l’Etat et sa remise en question sont radicales comme en Algérie, on n’hésite pas à tirer sur celle qui se dévoilent. Car l’accès des femmes dévoilées à la rue, l’école, le bureau et le Parlement est un acte hautement politique et révolutionnaire, comme une revendication immédiate, non-voilée d’un espace public. Une femme voilée accepte la règle, le voile signifie :“ je traverse rapidement et secrètement cet espace que je reconnais être masculin”. Celle qui se dévoile se revendique comme citoyenne, et bouleverse du coup toute l’architecture non seulement sexuelle mais aussi politique, recréant donc par ce petit geste symbolique un Etat musulman qui reconnait l’existence d’un espace public. […]

On peut résumer la bataille qui se déroule de nos jours dans le monde musulman autour de la démocratie et des droits de la personne, comme une bataille pour la création d’une espace public, chose totalement étrangère à la culture politique musulmane. Dans e modèle, l’homme est aussi politiquement voilé, car l’espace public est rejeté comme étranger à la nature du système.

Paru en langue anglaise dès 1994 sour le titre Dream of trespass – Tales of an harme girlhood, traduit par Claudine Richetin et revu par l’auteur elle-même, ce magnifique livre est disponible en poche pour quelques euros.

Ce livre est un ouvrage incontournable pour tous les européens qui voudraient tenter de comprendre nos voisins.

Merci à Laurence de cette découverte.

Lectori salutem, Patrick

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