JEAN CAU – L’ENFANCE DE L’ART

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“Les mots fabriquent des idées ailées qui se moquent impunément de l’ordre en sabots.”

Pourquoi écrivez-vous ? Cette question ramène Jean Cau à son enfance ; “Je crois que mes rêves étaient tellement contrarié par le quotidien de mes jours qu’ils devenaient plus violent, je crois que mon imagination, arrosée par les images et les mots de mes livres, poussait sur une terre si dure qu’elle était obligée de multiplier ses racines, de les plonger plus loin, plus profond avec une force et une fièvre qui n’avaient d’égale que la faim de floraison qui la dévorait.”

Comme Jean Cau, “j’ai trop lu et trop ouvert de livres pour n’avoir point acquis une extraordinaire finesse d’oreille”. Un essai d’une centaine de page à la recherche de la différence entre l’écrivain toréant au plus près de son âme et ceux qui, ayant écrit des dizaines d’ouvrages à grands tirages déplaçant des millions sans jamais avoir trouvé une seule pépite, écrivent leurs livres comme les bucherons abattent des arbres.

Extraordinaire parallèle avec le flamenco ou la tauromachie, appelant au duende, ce moment de grâce, lorsque le torero toréé de l’intérieur, cette grâce vibrante du flamenco, ou quand l’écrivain toréé les mots pour lui-même, pour sa joie, de l’intérieur. Ecrire, en effet, c’est tout au long d’une vie, continuer la quête de soi. “Un livre, un style, une phrase, des mots, ça se toréé. C’est monstrueux et fragile. C’est délicat et énorme. Ça pue et ça grise. Ça caresse et ça tue. Ça fonce sur vous et, ou bien vous attendez la charge de cette passion qui se rue et m’embarquez, tout contre vous, dans une passe ; ou bien vous faîtes « le fameux petit pas en arrière» parce que vous avez eu peur. Par exemple, vous n’écrivez pas de livres et devenez un banderillero de l’écriture : un journaliste et rien que cela.”

Sans le duende, sans cet abandon ou ce dépassement, ne restent que la technique d’écriture. La littérature remplacée par les romans fabriqués par les écoles d’écriture et bientôt par des ordinateurs. “Cinéma, télévision et littérature de consommation provoquent des avalanches de rêves, en même temps que la banalisation de nos sociétés broie l’individu dans le moule commun. Jamais, sans doute, la jeunesse n’a tant rêvé et jamais ses réveils, après les songes, n’ont été aussi maussades.”

La recherche de soi où l’écrivain n’est pas dans l’idée qu’il dit mais dans les mots qui la disent. Cette affirmation suprême : “Au commencement est le Verbe et à la fin aussi et cela s’appelle la littérature”.

Sans cette grâce, cet abandon de soi, ce duende, la littérature meurt au profit des bucherons, des journalistes, des personnalités diverses, des techniciens de l’écriture : l’âge de plomb du verbe.

“ Le politicien parle comme un littérateur, le littérateur comme un politicien. C’est l’âge de plomb du verbe.”

Jean Cau écrit comme l’enfance de l’art. “L’enfance de l’art, d’apparence si facile, était en vérité la plus sacrée et la plus secrète des prières.”

Un livre intemporel à lire, à relire, à conserver, à partager.

Lu en partenariat avec BOB, Blog o book

Paru à La Table Ronde en 1984, réédité en 2009 avec Proust, le chat et moi.

Lectori salutem, Pikkendorff

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