« L’objectif que je m’assigne dans ce travail consiste à explorer les modes d’invention de la « terre d’Israël » dans ces métamorphoses en tant qu’espace territorial où s’exerce l’autorité du peuple juif, lui-même résultant d’un processus de construction idéologique. »
Comme en réponse aux critiques acerbes à l’encontre de son précédent ouvrage au titre provocateur, « Comment le peuple juif fut inventé », Shlomo Sand, militant laïc post-sioniste et d’extrême gauche, livre sans concession un nouvel opus, « Comment la terre d’Israël fut inventée ». Dans un cadre géopolitique très instable, Shlomo Sand dénonce le Sionisme comme la secte dominante sur le Judaïsme de toujours, détruit l’idée d’un peuple élu associé à une unicité raciale du Peuple juif, démonte le roman national d’Israël construit sur des mensonges ou des approximations.
Sommaire : 1) Le livre et mon embarras, 2) sionisme et judaïsme, 3) l’auteur et ses limites conceptuelles, 4) débats à la télévision et radio française, entretiens de S Sand avec la presse, antijudaïsme et antisémitisme, 5) un livre de géopolitique sans carte ! , 6) la déconstruction d’une certaine identité israélienne, 7) conclusion
1)Le livre – Un excellent ouvrage, très bien écrit, bien documenté décrivant les conditions de la montée du Sionisme depuis la deuxième partie du XXIème. L’on s’attachera à comprendre comment un mouvement minoritaire, voir rejeté, a su prendre le pas sur le Judaïsme. Les étapes de la création d’Israël avec les luttes internes du Judaïsme, les interventions des puissances occidentales sont absolument passionnantes. L’action du Royaume Uni et des chrétiens (protestants plutôt) sionistes est une découverte. 1948, les années de conquêtes, de luttes, de guerre sont aussi très intéressantes. Le fait le plus marquant est, d’après l’auteur, le manque d’appétit de terre sainte. Les exilés des goulags et autres pogroms s’enfuient vers les USA ou l’Angleterre au point d’en faire un blague : « Qu’est-ce qu’un sioniste ? C’est un juif qui collecte de l’argent auprès d’un deuxième juif afin de pouvoir faire émigrer un troisième juif en terre d’Israël ».
Me voilà bien tel l’honnête homme ouvrant un livre d’histoire contemporaine, et son arrière-goût d’oxymore, me retrouvant au beau milieu de controverses religieuses, raciales et géopolitiques avec comme bagage la connaissance de mon ignorance et une situation sociale explosive!
Il n’est que de fureter sur la toile avec le titre du livre comme clef pour découvrir derrière Shlomo Sand tout ce que la Palestine a de soutiens tous pays confondus mêlant l’Islam et ses territoires : Dar al-Islam, Dar al-Harb, Dar as-Suhl et Dar ad-Da’wa et les gauches/extrême-gauche/ EELV. Vous ne serez pas donc étonné de retrouver Télérama en leader d’opinion sur la première de couverture.
J’avais déjà eu ce pressentiment du remplacement du communisme par l’islamisme. Le voir en action est terrifiant. La haine et le ressentiment sont tellement présents qu’il n’est pas possible de lire « Comment la terre d’Israël fut inventée » sans en tenir compte.
Me voilà très, très méfiant tant je connais les techniques des affidés de la secte du Progrès, successeurs des porteurs de valise du FLN et autres lieux qui savent mieux que personne reconstruire une nouvelle vérité prédéterminée à partir de faits avérés, et parfois peu glorieux, en passant par pertes et profits les faits gênants et trop têtus, en ajoutant une pincée de violence démocratique et populaire et en assénant un argument moral et intellectuel digne de Jean-Paul Sartre, le chantre de la gauche jamais renié : “La droite, ce sont des salauds. Un anti-communiste est un chien, je ne sors pas de là et je n’en sortirai plus jamais.”
1)Sionisme et Judaïsme
Le livre ouvre longuement ses pages aux luttes d’influence entre Judaïsme traditionnel et réformateur et Sionisme.
Au XIXème, le libéralisme politique et les Lumières dans les pays d’Europe occidentale poussent le Judaïsme traditionnel à traiter avec un courant libéral, le judaïsme réformateur. Passé la moitié du XIXème siècle, les réformateurs furent à la pointe de la dispute avec les sionistes tant « ils craignaient que l’obstination à mettre en avant une différence culturelle de nature non religieuse n’ait pour effet de renforcer la judéophobie (antijudaïsme ?NDLR), et par là même de retarder la marche vers l’égalité des droits civiques. »
2) L’auteur et ses limites conceptuelles. Militant d’extrême gauche, Shlomo Sand, pendant ses quelques années en Franc, a relancé, avec force recherches, colloque et revue, les études sur Georges Sorel (1847-1922), connu pour être l’introducteur du marxisme de par chez nous et par sa théorie du syndicalisme révolutionnaire. Comme le montre l’incipit, Shlomo Sand cherche les preuves soutenant sa conviction. De cette posture idéologique, à la démarche scientifique discutable, l’on notera ce défaut commun aux gauchistes de tous poils : L’impossibilité de prendre en compte le réel et l’homme tel qu’il est convaincus qu’ils sont que l’homme est bon et que la société le corrompt. L’on doit dès lors lire le livre en tenant compte de cette utopie myope qui écarte les documents contrariants, déconstruit dramatiquement le réel des peuples sous couvert de vérité et de bonne foi et force chacun à rêver sur un paradigme inatteignable.
“La littérature engagée, avec son air martial et ses bonnes résolutions, est sympathique dans la mesure où les fayots sont sympathiques dans un régiment de cavalerie.” In le Hussard Bleu de Roger Nimier
1)Débats à la radio et télévision française
« Réplique« , magnifique émission sur le sujet Faut-il déconstruire Israël ? animée par Finkielkraut avec Shlomo Sand et Maurice Kriegel (directeur du Centre d’études juives de l’EHESS, spécialiste du judaïsme ibérique et sur le marranisme à la fin du Moyen Âge) ? Deux historiens et un penseur, un moment d’intelligence.
« Ce soir ou jamais« , un débat sur France 3 entre Shlomo Sand face Meyer Habib, conseiller de Benjamin Netanhayou et VP du CRIF France 3 animé par Frédéric Taddeï.
. Les entretiens de Shlomo Sand avec la presse hexagonale :
l’entretien avec Le Point le 8 Septembre 2012,
l’entretien avec l’Humanité le 16 Octobre 2012
1)Antijudaïsme et antisémitisme
Des éléments historiques me permettent d’approfondir ma réflexion sur les concepts d’antijudaïsme chrétien, l’antisémitisme de mi-XIXème à mi-XXème et la renaissance d’un antijudaïsme islamique.
En effet le monothéisme hébreu, prosélyte avéré face aux polythéistes, s’est affonté avec l’Empire Séleucide (Hasmonéens, IIème av JC), puis l’Empire Romain (destruction du Temple en 70 ou Bar Khoba en 132). Après la naissance d’une secte prometteuse conduite par le rabbin JC, les deux religions se sont affrontées pendant plusieurs siècles. Les chrétiens en sortent vainqueurs à compter IVème siècle et en a conservé un antijudaïsme de combat d’autant que les discussions de dogme entre iconoclastes et iconodoules, contre les bons ariens ou les puristes cathares et j’en passe, étaient…disons, vifs. L’arrivée de l’Islam entraina des conversions des populations locales juives et chrétiennes et l’exode progressif des lettrés vers Constantinople ou l’Occident. La dispute entre les fils de l’Homme continua imposant, entre deux répressions, des règles de vies contraignantes comme l’interdiction d’acquérir le sol. A partir des années 1850, la montée des nationalismes, l’émergence du Sionisme, l’arrivée de réfugiés des pogroms russes, se construit un antisémitisme chrétien. D’un coté le Sionisme promeut un discours affirmant l’unicité raciale, culturelle et religieuse d’un peuple juif. L’antisémitisme reprit les mêmes arguments pour démontrer la nocivité de ce peuple se prétendant différent tout en étant pares inter pares. Les haines se cristallisèrent avec la relation à l’argent, incestueuse chez le catholique romain et normale chez le juif ou le protestant. De plus le besoin de nommer un adversaire au milieu de ce XIXème avec les grands bouleversements de la Révolution industrielle et les pâtés à répétitions que nous assènent les germains et bavarois. « Quelques minutes parmi les pithécanthropes de Munich suffisait pour qu’un Berlinois ait déjà l’air d’avoir une bonne avance dans l’évolution humaine. » Philippe Kerr in Une douce flamme à Berlin et Munich en 1932. De nos jours alors que les derniers feux de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme chrétiens se meurent, jaillit avec force l’antijudaïsme islamique alimenté par l’échec du monde musulman face à la modernité, les prémisses du sionisme, l’insoluble position géopolitique d’Israël, les pétrodollars des états du Golf, le retrait stratégique américain de la région et une immigration de peuplement musulmane sidérant les intellectuels et les politiques européens sur des concepts en retard d’une guerre comme d’habitude.
En conclusion le relativisme ambiant floute les concepts augmentant les peurs et l’inconnu. Mais la peur n’est-elle pas un choix de gouvernance ?
2)Aucune carte disponible pour un livre de géographie –
Tout à l’opposition Sionisme et Judaïsme et ses luttes intestines, Shlomo Sand en oublie volontairement la rue et les élites arabes, perses ou ottomanes musulmanes. Il ne s’agit plus que d’une disputatio entre israéliens sur l’idée de nation. Cela est confirmé d’ailleurs par l’absence totale de cartes alors que l’on débat dans le détail de limites territoriales sur les trois derniers millénaires !!!!
Retrouvez sur le site de la Documentation française, un ensemble de cartes d’Israël et de la diplomatie israélienne.
3)Le cœur du livre, la déconstruction d’une certaine identité israélienne
Dans ce chapitre, je cite les points clefs du livre et laisse au lecteur le soin de juger grâce à ses connaissances, muni des avertissements produit plus haut et de sa sagacité.
« A l’instar d’autres cultures linguistiques nationales, le sionisme fournit sont lot de manipulations sémantiques, truffées d’anachronismes, qui compliquent tout discours critique conséquent. »
« Le processus de sionisation de la religion juive » est au cœur de la démonstration de Shlomo Sand. Pour cela l’auteur va découvrir les éléments constitutifs du sionisme ou « les mythes fondamentaux du sionisme » : l’Exil, le retour, le Peuple juif et la terre . Puis il développera une argumentation précise et documentée. Parlant d’expérience, je ne doute pas que la démonstration inverse puisse être opposée avec tout autant de force et de précision.
Pour faire preuve d’une certaine légalité face aux palestiniens habitants sur place, un retour en Eretz-Israël des fils et filles d’une population, il faut prouver en être parti en exil et être une population ethniquement homogène. Shlomo Sand s’applique à démontrer que
- Le monothéisme juif est fils de l’Egypte ou de la Mésopotamie, seuls endroits où, en l’absence des esclaves, règne, grâce à l’hydraulique, un niveau technologique suffisant pour le développement intellectuel. Dans ces lieux résideront tous les grands noms du judaïsme.
- Non, il n’y a pas eu d’exode massif des Juifs lors de la destruction du Temple par les troupes de Titus en 70 ap JC.
- Le territoire d’Israël est un mythe aux frontières changeantes
- Non, les Juifs d’aujourd’hui ne sont pas les descendants des Hébreux de l’Antiquité. Ils descendent majoritairement de convertis du temps de l’expansion du monothéisme et du prosélytisme du IIème avant JC au VIIIème après JC, les multiples royaumes judaïsés,
- Ni une ethnie, ni une race, ni élus mais inventeurs géniaux du monothéisme repris par le christianisme né en son sein.
- Non, l’Aliyah n’est pas un voyage vers la terre d’Israël (appellation qui selon Shlomo Sand n’existerait dans aucun texte) mais une « ascension de l’âme ».
Par conséquent
- L’idée sioniste qu’après des siècles d’exil, ils auraient fait leur retour sur la terre de leurs ancêtres est donc une fiction
- L’idée sioniste est née dans de la mouvance des nationalismes du XIXème
- La conquête sans tenir compte des populations locales pourtant présentes se comprend sans s’excuser car elle s’inscrit dans les opérations coloniales de l’Occident.
- Non, les Juifs n’ont pas recherché à revenir sur la terre sainte. Ils ont toujours préféré les USA ou l’Europe et il a fallu la fermeture des fontières et la Shoah pour constater une aliyah
- Une longue dissertation sur le sionisme chrétien notamment Grand Breton qui n’a pas été pour rien dans le processus de création (qui passa même par une solution en Ouganda !!)
4)Une collection de photos de Jérusalem. N’hésitez pas à aller fureter sur le site jerusalemshot, des photos de très grandes qualités permettant un voyage, adoucissant le ton très dur de cette chronique inhabituelle.
Conclusion – Opinion
Alors que la vie même d’Israël est sur un fil, déconstruire c’est prendre le risque de tuer, d’armer ses adversaires. La conjonction des réseaux ex-rouge-brun du communisme protéiforme avec le vert-brun de l’Islamisme, l’instabilité d’Israël pris entre plusieurs feux, les renoncements des politiques occidentaux et la démographie arabe sont des sources de problèmes suffisant pour ne pas voir un Professeur de l’Université de Tel-Aviv offrir aux ennemis d’Israël les armes conceptuelles de sa mort. Les juifs réformateurs en Allemagne avaient en leur temps prévenus des risques à attiser les ressentiments en des temps difficiles (récession des années 30) contre l’attitude du sionisme et…
Flammarion, Traduit de l’hébreu par Michel Bilis, Septembre 2012, 355 pages, 22,50€
Lectori salutem, Patrick