« Je me sentis subitement et irrésistiblement heureux ; le vieux frisson sauvage me faisait tourner la tête ; ma vie entre mes mains, la mort en face, et la gloire dans les deux cas. C’était une ivresse que je n’étais pas attendu à ressentir encore. »
Magnifique roman archéologique relatant la rencontre de l’Aigle de la Rome Impériale et du Dragon des Sarmates Iazyges sur l’Ile de Bretagne. Si les personnages et le détail de leur action sont imaginaires, le contexte historique et culturel est remarquablement retracé. Derrière l’histoire fort bien racontée, nous a intéressé au premier chef les multiples dimensions du choc culturel entre les cavaliers iazyges et les troupes romaines.
Rencontre de Barbares illettrés et de l’Empire civilisé, de l’argent et la liberté, de la vénalité marchande et de l’honneur guerrier : « Ici, un homme est nommé pour commander une troupe de cavalerie parce qu’il a soudoyé le légat, et si il est corrompu ou couard, il sera quand même obéi, parce que les soldats respectent leur discipline. Vous avez un autel à la discipline dans le sanctuaire des étendards, et vous la vénérez comme si c’était une déesse. Mais nos hommes ne connaissent rien de tout cela. Ils attendent de leur commandant qu’il leur procure de l’honneur. S’il est faible, ils essaieront quand même de tirer orgueil de lui, parce que leur honneur est lié au sien et qu’ils veulent être fiers ; mais s’il leur apporte le déshonneur, ils vont commencer à l’abandonner, tout en souffrant très amèrement et en reprochant, à eux-mêmes d’être déloyaux, à lui des les y avoir contraints. Notre honneur nous est plus cher que notre sang, et le perdre nous tue. »
En 175 de notre ère, près 5 ans de campagne contre les Marcomans, Marcus Aurelius (121-180) est de retour dans cette Pannonie (Hongrie) où ce protecteur de la philosophie commencera son recueil « Pensées pour moi-même » et terminera sa vie. Rome emporte une bataille décisive contre Zanticos et ses bouillants Sarmates Iazyges et Roxolans. Ce peuple cavalier, nomade, de race blanche et de langue iranienne tenait tête à l’Empire depuis deux ans avec d’incessants raids sanglants. La paix signée, 8 000 des meilleurs guerriers Sarmates, menés par Arshak, Galats et Ariantès, Porte-sceptres Princes ou fils de Roi, promettent « sur le feu » de combattre, aux cotés de ceux à qui ils ôtaient, hier, la vie et le scalp. Le prudent Empereur les envoie contre les Pictes sur le mur d’Hadrien en Bretagne, au milieu de la mer où le soleil se noie (penn ar bed comme on dirait chez moi) aujourd’hui !).
A raison de 4 chevaux par cavalier et d’un chariot pour 6 hommes, une immense colonne d’hommes ombrageux se dirige de notre Hongrie vers le limes de Bretagne, « l’île invisible au-delà de l’extrémité du monde, l’île de fantôme que nous redoutions tous« , où les attendent les Pictes, les Brigantes et Coritanes. Stationnée à Eburacum (York), capitale des Brigantes alliés de Rome, la célèbre 6ème Légion Vitrix accueuille la cavalerie Sarmate. (ci-contre photo de la VIème Légion VITRIX en son siège en Arles).
« Un moment je fus tenté de me présenter : « Ariantès fils d’Arifarnès, porteur-de-sceptre, et azatan des Sarmates Iazyges, prince-commandant du 6ème Dragon ». Mais à quoi bon ? Le titre ne lui dirait rien, et je n’étais plus ni porteur-de-sceptre ni prince à présent ; j’étais le commandant d’une troupe de cavalerie romaine. »
Le 2ème Sarmate d’Archak reste en réserve à Eburacum tandis que le 4ème de Galatas s’établit à Condercum et le 6ème d’Arifarnès renforce Cilurnum (Chesters on Tyne). Arifarnès d’un ton vif et plaisant nous conte comment les mouvements de résistance à l’Empire vont profiter du déséquilibre provoqué par l’arrivée des ces guerriers nomades.
Lesquels des 3 Porteurs-de-sceptre pourraient joindre les Pictes et les Brigantes en cours de romanisation? Qui est prêt à trahir le serment du feu ?
« Nous ne savions pas ce que nous jurions. Nous pensions que nous resterions des Sarmates et combattrions sous un autre chef, mais ils nous transforment en Romains. Nous mangeons du pain et dormons dans des tombes et donnons des pots-de-vin aux responsables. Mahra ! N’es-tu pas malade de tout delà ? »
Gillian Bradshaw décrit magnifiquement le choc culturel entre les bretons, les romains et les Sarmates. Le livre tire une extraordinaire force de cette mise en tension sur le limes du bout du monde. Les personnages ont tous une partition à jouer : Julius Priscus, Légat de la très fameuse 6ème Légion Vitrix et sa femme Aurélia Baudica, issue de deux maisons royales indigènes, les Icènes et les Coritanes, descendante de la Reine Boudicca, emblème de la révolte en 61 ; Marcus Flavius Facilis, le curieux officier polyglotte trop intelligent pour un militaire ; Lucius Javolenus Comittus, citoyen romain depuis 2 générations et Breton, tribun d’une légion et étudiant en druidisme, noble coritane et membre de l’Ordre Equestre ; Eukarios le scribe chrétien et esclave ; Cunedda le Druide ; les trois Porteurs-de-sceptre et cavaliers Iazyges prompts à laver dans le sang toute atteinte à leur honneur.
Curieux, troublant. Dans un bel ensemble, les Pictes forment une attaque sur Corstopitum avec des forces encore jamais vu depuis au moins une décennie ; Galatas et sa garde du corps de 34 cavaliers partent mourir dans l’honneur en affrontant la garnison de Condercum. La tension est à son comble. Le trouble jeté par la 5ème colonne bretonne modifie les allégeances.
« Je suis du coté du 6ème Dragon. Je suis du coté de mes hommes. Ils m’ont suivis dans les raids contre les Romains, ils m’ont suivi à la guerre, et nous sommes devenus des morts pour notre propre peuple, mais ils ont du me suivre encore, à travers l’océan, vers une ile de fantômes. Tout ce que nous avions est perdu, mais tant qu’eux et moi vivrons, ils sont liés à moi et moi à eux. Je ferai tout ce que je pourrai pour eux. Si cela signifie me romaniser, je me romaniserai, autant qu’il faudra. J’ai autant de raison que n’importe qui de haïr les Romains, mais je ne peux pas choisir mes alliances par haine. L’honneur et la sécurité de mes gens sont entre mes mains, et je préfère les protéger que me venger de n’importe quel ennemi – particulièrement un ennemi que nous avons juré sur le feu de servir. »
Est-ce que Arifarnès pourra recontruire une vie en Bretagne aux cotés de Pervica, jeune veuve libre et dynamique. Féministes avant l’heure ces Britonniques ?
- « C’est un raisonnement de femme. Je ne le comprends pas.
- C’est une arrogance d’homme. C’est parfaitement clair. »
Deux légendes possibles sur les Pictes et à propos d’Arthur.
Chassés par Jules, les Pictes proviendraient peut-être de cette belle région française qui s’appellent le Poitou.
Deux siècles séparent ces évènements, le Roi Arthur pourrait être un descendant de ces belliqueux Iazyges ou que la symbolique arthurienne auraient puisée ses sources dans celle des Sarmates, le Dragon ou l’épée plantée dans le rocher. Le faible film ‘’Le Roi Arthur’’ exploite maladroitement le filon.
Iraoslav Lebedynsky
Traducteur, écrivain historien prolifique, chargé de cours à L’Inalco, incollable sur les Peuples Nomades, les Scythes, les Sarmates, les Alains Les Sarmates, auteur de l’excellent postface replaçant à leur place l’historique et la fiction et l’avéré du supposé raisonnable, Iraoslav Lebedynsky a convaincu Acte Sud d’éditer ce livre.
Un autre avis du blogeur Le Bibliomane :
Crédit cartes et photos
Images of the Map of Roman Britain published by the Ordnance Survey, Southampton
Images de l’histoire des Pictes par Swoweb
Mauvais points : Le format 11,5 par 17,5 est désagréable à tenir en main. La fin n’en finit pas de finir.
Island of ghosts a été édité aux USA en 1998, choisi et traduit par Iraoslav Lebedynsky, l’Aigle et le Dragon est édité en France en 2006 par Actes Sud – Errance, Format 11,5 x 17,5 cm
Lectori salutem, Pikkendorff