ENTRETIEN AVEC JOY SORMAN A PROPOS DE SON LIVRE « COMME UNE BETE. »

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Laissant loin derrière syntaxe et sémantique, votre usage de la ponctuation me semble tenir d’un souffle. Ai-je tort de croire que vous y accordez-vous une attention toute particulière ?

En effet, la ponctuation est l’outil privilégié du souffle, du rythme, du flow du texte. Mon idéal est finalement de la réduire au strict minimum afin de laisser la phrase porter le lecteur, de régler la vitesse de la syntaxe, de l’affoler, de l’essouffler, de l’accélérer puis de la ralentir ou de la faire caler subitement. La ponctuation donne la musique, le tempo.

Commencé comme un documentaire pour le syndicat de la boucherie, le livre se transforme en littérature, en joie féroce de vivre. Comment s’est opéré ce basculement ?

Le projet initial suivait en effet un sillon documentaire, se donnait pour ambition de découvrir un métier, ses codes, ses rites, sa langue. Mais avançant dans l’écriture, c’est-à-dire dépliant les enjeux – anthropologiques, philosophiques, esthétiques, fantasmatiques – liés à un tel sujet, la fiction s’est imposée à moi comme possibilité, et liberté, d’explorer la boucherie comme le lieu de toutes les représentations : vie et mort, humain et animal, sang et sacrifice, amour et chair…

Le sang, la mort, l’on devient végétarien à mi-bouquin pour assumer à nouveau notre côté carnivore face à la mort nécessaire. Ce chemin vécu par le lecteur est-il produit de mon imagination, résultat d’un hasard d’écriture ou une volonté délibérée?

Le livre ne veut militer ni pour le végétarisme ni pour les carnivores, chacun y trouve son chemin, en fonction de ses inclinations, de ses affinités, de ses convictions et des dispositions de son corps…

Et, de fait, le livre a pu plaire autant à de féroces carnivores qu’à des végétariens convaincus.

176 pages…De nos jours il semble que l’on ne puisse s’exprimer à moins 350. Choix de l’éditeur, préférence personnelle, pourquoi ce format si dense?

Le nombre de pages n’est jamais pour moi une question ou un enjeu – même si de fait j’écris des livres courts -, et l’éditeur ne juge jamais un ouvrage sur sa longueur. Mais il est vrai que j’aime densifier l’écriture, la vitesse, la ligne droite qui essouffle. Disons que c’est mon métabolisme d’écriture.

La visite des abattoirs. Ce passage est d’une grande longueur même lors d’une deuxième lecture. N’avez-vous eu crainte de voir s’éloigner le lecteur incapable de voir couler ce sang nécessaire à sa propre vie?

Ecrivant, je ne pense jamais à ce qui pourrait effrayer le lecteur ou au contraire le retenir. Mon propos était d’épuiser ce motif d’écriture que je m’étais donné – la viande -, de pousser loin le travail de description, de captation et de restitution d’une réalité, non pas pour dégoûter gratuitement les lecteurs, mais dans une perspective de loyauté au réel, d’expérience sensible.

Promenade à Rungis. Ces belles pages laissent penser que vous n’y êtes pas allé qu’une seule fois, mais 3 ou 4. Racontez-nous.

J’y suis allée une seule fois, passer la nuit avec un boucher qui m’a fait visiter tous les secteurs, rencontrer des négociants en viande, des professionnels, avec qui j’ai partagé le sandwich aux tripes et le verre de blanc au creux da la nuit.

Mangez-vous de la viande ?

Oui, du bœuf surtout, et bien saignant.

Entretien par écrit entre votre serviteur, Pikkendorff et Joy Sorman réalisé entre les 1er et 17 Février 2014 par le truchement de Lise Chasteloux, Gallimard – Folio.

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