JOY SORMAN – COMME UNE BETE

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« Si on ne tuait pas chaque année un milliard de volailles et quarante millions de lapins, se ligueraient-ils pour nous faire la peau ? »
Saisi par la vivacité du style, captivé par ces voltigeuses virgules, si pour vous la ponctuation est un souffle, chez Joy Sorman, elle est la vie.

Croyez-vous qu’il ne s’agisse que de poser là quelques morceaux choisis, une intrigue, des amours, et emballé c’est pesé. Pensez-vous qu’il puisse s’agir d’un documentaire pour le syndicat des bouchers ?

Point du tout. Il s’agit bel et bien d’une œuvre littéraire, d’une promenade dans les mots et dans les sens.

Et sans plus jamais lâcher le léger et dense ouvrage de 176 pages, nous suivrons Joy Sorman et Pim, le jeune apprenti boucher de sa Bretagne à Paris, de son apprentissage à sa célébrité, les mains dans la viande rouge, respirant le sang, offrant à manger à l’humanité carnivore et progressiste.

Si la boucherie commence là où finissent les bêtes, aux marges de la ville, loin des boucheries, elle commence, tant pour ces jeunes apprentis que pour nous autres, les carnivores, par la visite obligatoire des abattoirs. A peine entrés dans la tuerie à l’hygiène drastique, le sang envahit les mots, les pages, les sensations…la vérité crue de notre nature. Pim évanoui, trois claques, une goutte d’alcool de menthe sur un sucre et il est debout…En bout de chaîne, sous vos yeux les deux morceaux ressemblent bien aux carcasses livrées chaque semaine en boucherie. L’abattoir, c’est l’inverse d’une usine Renault. Ici on ne monte pas on démonte, on assemble pas on disloque. Mais ce n’est pas avec trois truies par éleveur et sans usine qu’on va faire bouffer le pays.

Puis nous irons dans les champs, dans les étables, yeux dans les yeux, au plus près des vaches. La vache, je t’aime tant que je te mange.

Pim ouvre sa boucherie à Paris, il prospère, l’argent afflue et s’entasse dans un coin de sa vie. Le boucher transforme l’animal écorché en morceaux parfaits et équilibrés, rôti bardé, fleur de persil, ficelle impeccable, nœud coulant, chapeau l’artiste.

La visite de Rungis est un monument de plaisir. 4h30, les premiers embouteillages, puis les pavillons tripiers, viandes de boucherie. On jettera un regard de dédain (à) ces bêtes rutilantes aux muscles parfaitement dessinés mais à la chair sans saveur, pleine de flotte, de la vache laitière industrielle qui pisse du lait toute sa vie comme une forcenée puis finit à l’abattoir, cette viande fatiguée qui nous nourrit – fast-food, plats cuisinés et grandes surfaces.

Rungis…Lire, lire encore le rêve de Pim face à ces vaches à herbe nourries en prenant le temps sur les hauteurs de l’Aubrac, ou bien la japonaise élevée en Espagne abreuvée au vin rouge, nourrie aux céréales fraiches en écoutant Vivaldi…la salive vient en bouche et l’on a envie, là, immédiatement sur le pouce, de manger une de ces entrecôtes qui n’ont pas fait trente mètres avant d’atterrir dans l’assiette.

Main gauche posée à plat sur l’entrecôte, de la droite il taille dans l’épaisseur, la viande tombe en tranches sur le billot, elle tombe mollement, lentement, fléchit avant de s’affaler dans un son sec et mat. C’est ensuite l’immense lame usée du trancheur, la scie qui coupe les travers de porc, le fusil pour redresser le fil des couteaux, la lame qui gratte, tourne autour de l’os, rafraichit la chair, plonge et réapparait comme une couturière avec son aiguille, qui se faufile et glisse sous la couche supérieur noircie – un boucher vaut bien un danseur.

Auteur de plusieurs ouvrages de type militant avec parfois des prises de position sur le féminisme réclamant encore à être affinées, le style convaincant de ce premier roman montre une voie dans laquelle nous espérons retrouver Joy Sorman.

Ce livre, proposé en service presse, m’a offert une belle promenade dans des lieux que jamais je ne fréquente. Et il n’y a rien d’étonnant à ce que Joy Sorman ait pu être récompensée en 2013 par le prix François Mauriac e l’Académie Française et en 2012 par le prix Georges Brassens.

Editions Folio Janvier 2014, (Gallimard 2012), 176 pages, un modeste 6,20€ soit le prix d’un bourguignon de Limousine de 600g en direct de Rungis

Lectori salutem, Patrick

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