Seul un maître peut envisager de nous offrir en 300 pages l’épopée des croisades depuis 1095 au tournant de 1250. Et si cet ouvrage est brillant, c’est qu’à aucun moment le narrateur n’ostracise un camp par rapport aux autres et toujours réintègre ces évènements dans un contexte géopolitique qui ne s’arrête pas à Jérusalem.
Urbain II a vingt ans en 1064 lorsque les chevaliers français passent les Pyrénées pour donner la main à d’autres chrétiens pour bouter l’infidèle hors de l’Aragon. La Reconquista n’est-elle pas déjà une croisade ? 1089 Urbain II lance de nouveau les chevaliers du midi vers l’Espagne. Les intérêts terrestres se mêlent clairement à la volonté divine papale alors pourquoi l’Orient ?
Géopoliticien d’abord, c’est là tout l’art de René Grousset de remettre en perspective la situation d’alors avec une situation des plus complexes s’étendant sur plusieurs siècles mêlant Turcs Seljoukides, Kurdes, Arabes, Persans, Arméniens, Byzantins, Francs, Normands, Pisans, Gênois…et les personnalités qui parfois font autant l’histoire que les peuples tout entiers.
L’Islam a quatre cents ans. Sa source arabe et perse perd de sa combativité première. Depuis le IXème siècle les guerriers d’Asie centrale, frappent à la porte de l’Est. 969, Damas, Antioche, Galilée, l’empire byzantin reprend les terres à l’Islam. Logistique oblige, les ports libanais restés sous contrôle arabe l’empêchent avant de reprendre Jérusalem. 1005 les territoires sont repris par le Khalife du Caire. La persécution mal ressentie rendit visible les carences chrétiennes en ces terres.
1055, les Turcs Seljoukides entrent à Bagdad et se superposant à l’empire arabe devient la race impériale du monde musulman.
La conquête musulmane, après deux siècles d’arrêt, reprend son cours. Tout change. Tout recommence. L’épopée des croisades trouve sa source et sa motivation.
1071, le désastre de Malazgerd (Manzikert). Au cœur de l’Arménie, l’empereur byzantin Romain Diogène se mesure au Sultan turc Alp Arslan (le lion robuste). Race militaire, endurcie par des siècles de nomadisme dans les âpres solitudes de la Haute Asie, le Turc est rude. L’Arménie byzantine conquise paye le prix du sang. Les 3⁄4 de l’Asie Mineure passe sous contrôle turc, suivent Jérusalem prise au Arabes et Antioche aux Byzantins. 20 ans plus tard, Melik-Châh (1072-1092), petit-fils des nomades sortis des profondeurs de l’Asie Centrale trempe, son sabre dans les eaux de la Méditerranée.
1095, première croisade à l’appel d’Urbain II. Les Francs prennent la relève des grecs défaits alors que le grand empire turc slejoukide perd de sa force avec la mort de Melik-Châh.
Les avions n’existant pas encore, c’est à pied que Godefroid de Bouillon, Raymond Saint-Gilles, Bohémond de Tarente et autres barons se rendent en Syrie. il fallut bien traverser l’Europe, Constantinople et rencontrer les Turcs sur les plateaux de l’Anatolie.
1er Juillet 1097, la victoire de la chevalerie franque lors de la bataille de Dorylée (Eski-chéchir) trancha pour plus d’un siècle le rapport de force dans le proche Orient. Une force nouvelle s’était levée depuis la capture de l’empereur byzantin par les seljoukides en 1071 à Malazgerd. Les races guerrières de l’Ouest et de l’Asie, Francs et Turcs, apprirent à s’estimer et le chroniqueur de la Gesta Francorum nota : « A la vérité, ils reconnaissent de leur coté que nul, à part les Francs et eux-mêmes, n’a le droit de se dire chevalier. »
A propos des Poulains et des croisades suivantes.
L’on imagine les Croisades comme l’arrivée successives de contingents venus à la conquête d’un pays. Rien n’est plus faux. Conservons à la mémoire qu’après 20 ans de présence une génération née sur place s’est levée. Les mariages mixtes sont la règle. Ce sont les Poulains. Et le Royaume Francs est d’abord leur histoire.
Nous qui étions occidentaux, nous sommes devenus orientaux […]. Nous avons oublié les lieux de notre origine ; plusieurs d’entre nous les ignorent ou même n’en ont jamais entendu parler. Untel possède ici des maisons en propre comme par droit d’héritage, tel autre a épousé une femme, non parmi ses compatriotes, mais syrienne, arménienne, parfois même une Sarrasine baptisée. […] On se sert des diverses langues du pays ; et les langues jadis parlées à l’exclusion les unes des autres sont devenues communes à tous, la confiance rapproche les races les plus éloignées. La parole de l’Écriture se vérifie : « Le lion et le bœuf mangeront au même râtelier. » Le colon est maintenant devenu presque un indigène ; qui était étranger s’assimile à l’habitant. Ceux qui étaient là-bas pauvres, Dieu ici les a rendus riches. […] Pourquoi retourneraient-ils en Occident ? Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana, dans Recueil des historiens des croisades, historiens occidentaux. XIIe siècle
Ci-dessous l’édition électronique de l’épopée des croisades réalisée à partir du texte de René Grousset par Jean-Marc Simonet, bénévole, professeur retraité de l’Université de Paris-X.
Loin de nous l’idée de retracer ici l’ensemble de l’ouvrage. Il suffit de dire que l’histoire du royaume franc en Syrie ne fait que commencer. Il faudra le talent de René Grousset (1885 – 1952) de l’Académie française pour entrer dans les détails tout en conservant un fil romanesque, pour pointer les personnalités de chaque camp tout en conservant une vision géopolitique
Crédit carte
- Larousse les Seljoukides
- Université du Quebec, Sciences Sociales, la Syrie franques
- Estudios medievales, historia hierosomitana
Librairie Académique Perrin, Paris, 1936 réédité en 1995, 308 pages, une carte dans le texte plus 12 pages d’une passionnante conférence de l’auteur donnée en 1948.
Lectori salutem, Pikkendorff