« La balle était ressortie juste sous son nez, le vieil homme inspecta son œuvre tandis que le garçon cillait et regardait le ciel au-delà du visage impassible du tueur – les nuages gris de l’hiver mourant, une petite feuille noire, cerf-volant sombre, et un large vol d’étourneaux de mars qui descendaient en piqué, à peine plus bruyant qu’une respiration. »
Époustouflant, hypnotique et crépusculaire.
Valentine Millimaki le jeune adjoint du Shérif, pisteur arpentant les bois et plaines pendant d’interminables heures à la recherche des personnes disparues dans cette nature profonde, hostile et magnifique, prend son service de nuit à la prison hébergeant le sinistre John Gload, un tueur sociopathe dont aucune des victimes de ses soixante dernières années n’a été retrouvée et identifiée. Un impossible dialogue se noue entre ses deux insomniaques et silencieux fils du labours et de la peine.
« Elle garda le silence un moment. Le feu s’éleva lorsque une brise souffla., des bûches s’affaissèrent et projetèrent un chapelet d’étincelles brillantes. Un voile de nuages clairs passa devant la lune. »
Loin des tourne-pages américains, le lecteur est absorbé au fil des pages, comme hypnotisé, par la profondeur des trois personnages principaux : la nature environnante, Val et John.
« Il longea d’un pas engourdi de toutes petites maisonnettes quasi identiques, les briques de ciment et les caravanes installées sur des parpaings mal alignés et dissimulées entre des enchevêtrements de ciguë et de lilas envahissants, et rapidement, le bitume sous ses pieds laissa la place au caillou. Des coyotes hurlaient depuis les promontoires sombres à l’ouest de la ville, le cours d’eau qui serpentait est en contrebas à cette période de l’année n’était guère plus qu’une série de mares tièdes et de trous saumâtres gargouillant entre les branches emmêlées des saules dans un bruit de voix étouffées. Il n’y avait pas de lune, et il laissa derrière lui les dernières lumières en bordure de la ville comme s’il venait de franchir un portail, passant d’un monde civilisé à un autre où régnait l’obscurité.
Il s’arrêta sur la route et leva les mains au ciel, l’air de vouloir mélanger les milliards d’étoiles entre ses doigts et trouver un sens au noir équivoque comme un pyromancien de l’Antiquité. Il marcha longtemps. Des déchets s’agitaient sur les clôtures métalliques. Près d’une conduite qu’empruntait la rivière pour passer sous la route, il s’assit dans les herbes folles du fossé. De petites créatures s’enfuirent, puis il n’entendit plus rien d’autre que le murmure électrique étouffé du vent dans les barbelés. »
Publié en 2014 sous le litre The Ploughmen (les laboureurs), édité en 2015 avec la traduction de l’américain par Laura Dérjinski et l’illustration de couverture de Sam Ward par l’excellente maison Gallmeister spéciliste de la littérature américaine.
Gallmeister, réédition 2017, 263 pages et 9,50€ pour quelques heures de lectures hypnotiques
Lectori salutem, Pikkendorff