Tombouctou, Journal de marche Mali 2019 – Jean-Éric L.

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« Il m’explique ce qu’est un vrai Touareg, né dans le désert, dans les Iphogas, la zone la plus chaude et inhospitalière de la planète, où la vie est un défi quotidien. Il (Iyad Ag Ghali ) maîtrise le désert comme personne. Il peut survivre avec presque rien pendant des semaines et est capable de se fondre dans le paysage. C’est un guerrier et un ascète. Insaisissable. Un ennemi impitoyable qu’il évoque pourtant avec respect, selon lui, nous ne parviendrons, jamais à le capturer. » (page 24)

À chaque page le roman fait un clin d’oeil à Milan Kundera et dit à son lecteur : « les choses sont plus compliquées que tu ne le penses ». Écrit avec un talent de conteur, précis, dynamique, clair avec une touche d’humour, ce journal de marche vous transporte au premier rang d’une OPEX avec l’ONU au Mali en 2019. Dans ce territoire où personne n’est possesseur de la vérité, cet autre monde modifiera votre regard sur votre existence et l’ouvrira sur celles des autres, eux.  À lire et faire lire ! 

Avant de partir le Commandant d’unité comptable en choux et carottes, à l’image des managers excel que l’on trouve partout.

« Il m’a tout de même fallu batailler un peu contre mon commandant d’unité, comptable en choux et carottes, pour qui un personnel en moins dans la compagnie est un sacrifice intolérable. » (page 9) 

7 janvier à Bamako – Rencontre avec l’ONU

« Cette première journée sera exclusivement consacrée à des tâches administratives : remplir des formulaires à n’en plus finir, donner plusieurs fois les mêmes infos, etc. Nous constatons en cette occasion que l’ONU est une énorme machine administrative à côté de laquelle Bercy pourrait largement passer pour un exemple de simplicité, d’efficacité, de rationalité et de cohérence. Premier choc. » ( page 11)

12 janvier à Bamako – Salut aux morts

« …Instant de recueillement sur le monument aux morts de la mission. 160 noms y sont gravés. Je me demande immédiatement combien auront été ajoutés le jour où je quitterai ce pays et, un instant d’égarement, j‘imagine voir le mien, gravé sur ce marbre. J’en frissonne. (page 12-13)

20 janvier à Bamako – Un plombier chrétien

« Nous sommes dimanche, et toujours pas d’eau. Je redescends voir Marco. Alors, il m’apprend qu’en fait, le plombier ne viendra pas aujourd’hui, parce qu’il est chrétien et que, par conséquent, il ne bosse pas le dimanche. U.n détail qu’il avait omis de m’annoncer hier. C’est bien ma veine : 90 % de musulmans au Mali, et il faut que je tombe sur, possiblement, le seul plombier chrétien de Bamako. » (page 17-18)

27 janvier à Bamako – Les soldats tchadiens

« J’ai un profond respect pour les soldats tchadiens. D’abord, parce qu’ils sont réputés être les meilleurs soldats d’Afrique. Ensuite, parce qu’ils sont sur le front depuis le début et qu’ils ont combattu avec les forces françaises lors de l’opération Serval. Enfin, parce que c’est le contingent qui a subi le plus de pertes depuis l’ouverture de la mission : 60 tuer. Ils occupent les postes les plus chauds dans les régions les plus dangereuses.Ce sont des combattants impitoyables qui ne font jamais de prisonniers… Enfin, si. La semaine dernière, les premiers comptes rendus annonçaient qu’un djihadiste avait été capturé, jusqu’à ce que plus personne n’entende parler de lui. Et personne n’a osé demander ce qu’il était devenu. 

Ce sont bien des musulmans qui sont en première ligne face au barbu. Il les combattent sans retenue. » (page 27)

Présentation du livre en une vidéo de 4 minutes par l’auteur sur le site de la Gendarmerie Nationale

26 février à Tombouctou – l’heure du thé

« Puis vient l’instant du thé. Deux verres et cinq théières… Les verres passent de bouche en bouche et l’un d’eux arrive à moi. Pas question de refuser bien entendu. Je repense aux recommandations du service de santé des armées : « ne buvez jamais dans le verre d’un autre ! » Et ta sœur, me dis-je… Le terrain commande. On boit et on se tait. Sinon autant les insulter directement. » (page 101-102)

7 avril – Messe avec le bataillon du Burkina Faso

« Les célébrations religieuse, en OPEX, dégagent toujours quelque chose d’unique. Dans un tel environnement, les croyants se retrouvent autour de l’essentiel. Les différences culturelles sont innombrables. Il est cependant des moments qui rassemblent et où nous nous retrouvons tous autour de ce qui nous relie les uns les autres. Ce sont des racines que je suis fier d’entretenir, ici également. Fier et heureux d’être chrétien. (page 134)

25 avril – Une chaleur sèche éprouvante

« Lorsque nous mettons pied à terre pour entamer une patrouille pédestre, nous ne restons jamais plus de 90 minutes dehors. Aujourd’hui, nous resterons sous le soleil de neuf heures à 15h30 et sans pause déjeuner. Le thermomètre n’est jamais monté aussi haut. La température atteint 53 °C, peut-être davantage. Je conserve en permanence la température affichée sur ma montre. Cela me permet, lorsque je regarde l’heure, de m’alerter sur le fait qu’il serait peut-être temps que je boive un peu. Parce que les chaleurs très sèches sont aussi très sournoises. Nous ne ressentons pas forcément la sensation de la soif, mais le corps se déshydrate très rapidement. Alors il faut avaler quelques gorgées très régulièrement, même si nous n’avons pas l’impression de transpirer beaucoup. Et c’est le cas : je suis totalement sec, sauf sous mon porte-plaques. Là, c’est le sauna. Toute la sueur s’évapore instantanément. Je suis venu avec trois bouteilles d’eau ce matin, que je consommerai en quelques heures. Quatre litres et demie qui sont passés, je ne sais où ; pas de sueur apparente, et l’on ne va pas aux toilettes non plus… enfin… aux latrines plutôt et, par ces chaleurs, je préfère m’abstenir de décrire l’endroit. » (page 168) 

11 août – Le monde est plus complexe qu’il n’y paraît

« Je suis venu avec des certitudes, des a priori, des idées bien arrêtées et bien carrées. Je vais repartir avec des doutes, des impressions beaucoup plus en rondeurs, des questions, mais une certitude émergera de tout cela : le monde est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Et c’est ce qui le rend beau. Fondamentalement . » (page 314)

Et le retour en octobre 2019, un peu groggy…

Citation complète utilisée dans le chapô
« L’esprit du roman est l’esprit de la complexité. Chaque roman dit au lecteur : « les choses sont plus compliquées que tu ne le penses ». C’est la vérité éternelle du roman mais qui se fait de moins en moins entendre dans le vacarme des réponses simples et rapides qui précédent la question et l’excluent. »
in l’Art du roman, L’héritage décrié de Cervantès, Milan Kundera, 1986

Liens vers des recensions

Perrin, Pierre de Taillac, Paris, 2023, 360 pages denses pour un léger 22€

Lectori salutem, Pikkendorff

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