MICHAEL DOBBS – CHURCHILL À YALTA, LA POLOGNE TRAHIE

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“Si la Pologne était perdue, que risquait-il de perdre d’autre ? Gagner la guerre, mais perdre la paix. L’héritage perpétuel des imbéciles.”

Juin 1963, à bord du magnifique yacht Cristina, Winston Churchill (1874 – 1965) écoute les invités d’Onassis pérorer sur l’état du monde, ravivant de si vieux et si présents souvenirs…

Un cigare refroidi dans une main, son verre se porte à ses lèvres et la Pologne à sa mémoire ; la Pologne, raison de l’entrée en guerre et victime de la négociation de Yalta.

Yalta…comment oublier cette semaine de Février 1945 passée en Crimée entre le mourant Franklin D Roosevelt et l’ogre Staline, entre son ami et celui qu’il avait essayé d’éliminer. Cette semaine qui vit l’Amérique, la Russie et l’Empire Britannique redessiner la carte du Monde pendant que leurs troupes victorieuses couraient sus à Berlin…

Le livre qui manquait sur Churchill et Yalta. Au milieu des bibliothèques écrites sur le sujet, il a fallu un œil radicalement neuf, un regard et une méthode tranchant sur celle des historiens ou des biographes pour apporter ce sang nouveau. Le pari est gagné, le résultat au-delà de toutes espérances car :

  • Baron Michael Dobbs of Wyle n’est pas un homme ordinaire. Les deux pieds à cheval au-dessus de l’Atlantique, cet homme de presse, homme politique, écrivain, mémorialiste…cet homme qui n’a jamais eu de “proper job” et qui a été au cœur de la vie publique pendant des décennies, cet empêcheur de penser en rond, “The man who in Latin America would have been shot”, s’étonne encore d’avoir été créé baron en 2010 et d’être autant invité à discourir.
  • Michael Dobbs choisit ce même angle que Stefan Zweig dans ces biographies. Il commence par comprendre les acteurs, leurs forces, leurs faiblesses. Ils recherche ce qui les motivent, ce qui les oppresse. Puis replaçant ces être humains dans le contexte, il regarde ce qu’ils ont accompli. Ce regard de l’intérieur vers l’extérieur, à rebours de la démarche historique classique, qui veut que l’on parte des évènements pour considérer les personnages, propose une fresque puissante portée par l’irrationalité humaine et par l’impact de la vie personnelle sur les actes de la vie en société.
  • Et enfin la Pologne. Apprendre à tous combien cette Pologne au secours de laquelle L’Empire a volé ; cette Pologne première victime des exactions de l’Allemagne puis de la Russie ; cette Pologne sacrifiée à Yalta sur l’autel des Nations Unies et de l’équilibre mondial ; cette Pologne a été trahie et que la mémoire longue des peuples se rappelle toujours à présent.

Avant d’entrer plus avant dans cette semaine de Février 1945, remercions la petite maison d’édition bordelaise SDL Edition emmenée par Madame Zofia de Lannurien, qui croyant au pouvoir des mots sur l’histoire, a confié la traduction à Lucie Delplanque, apportant aux francophones une pan ignoré de l’histoire européenne, une part de notre histoire à nous réapproprier.

Quatre histoires s’imbriquent agrémentant notre lecture et aiguisant notre vision et notre curiosité.

Les trois délégations occupent trois bâtiments, le NKVD (ancien KGB) s’occupant des travaux d’électricité posant des micros partout. La dictature bolchévique a remis en état autant que faire se peut, le palais Youssoupov pour les russes, le Livadia ancien palais d’été du Tsar pour les américains, et enfin le palais Vorontsov pour l’Empire.

  1. Staline, FDR, WC : Les négociations ont commencé. L’américain souhaite entrer dans l’histoire en étant celui qui a créé les Nations Unies, le russe ne pense qu’à conquérir le reste du monde et l’anglais constate que l’Empire britannique ne survivra pas au nouvel ordonnancement du monde et, qu’en mode défensif, il ne pourra qu’essayer d’en limiter les conséquences.
  2. Les conseillers des trois hommes jouent aussi leur partie. Appelés à les remplacer suite au décès qui ne saurait tarder de FDR, du résultat des élections anglaises (que WC perdit) ou d’un accident mortel malheureux assez courant dans la Russie révolutionnaire, les seconds couteaux sont des épées qui n’attendent que le moment de sortir.
  3. Franck Sawyers et Marian Nowak. Le premier sert WC depuis des années, le deuxième officier polonais sous pseudo connaît la vérité sur Katyn. Rapportant les nouvelles du camp rouge, il est une source d’information qui ne souhaite que s’évader de Crimée. Promesse est faite, l’honneur est engagé. Ce polonais sera la Pologne. Cette histoire dans l’histoire sera la victoire du courage individuel sauvant l’honneur britannique.
  4. En écho, nous suivons la vie dans la petite ville polonaise de Piorun. Proche de la frontière allemande, elle vit passer les allemands, subit l’occupation, survit à la retraite et assista à l’arrivée de l’ogre rouge. La ville de Piorun sera pour nous la Pologne, témoin muet des évènements de Yalta.

Samedi 3 Février 1945, Yalta … Staline impose à Churchill et ses 70 ans et surtout à un Franklin Delano Roosevelt épuisé – il mourra deux mois plus tard – un déplacement de 10 000 km pour leur offrir la vue sur les décombres de Sébastopol (1942), marques du sacrifice russe à la folie hitlérienne …Premier round Russie. Le ton est donné. Le russe ne perdra plus la main.

Dimanche 4 Février – Le sort de Dresde est scellé

Staline impose, Churchill résiste, le vieillard impotent accepte de détruire la belle cité baroque de Dresde cassant la résistance des enfants et des vieillards allemands et accélérant la conquête de l’Allemagne par l’Est. 100 000 morts pour une erreur stratégique qui se paiera très chère.

Entretien privé Staline / FDR. Churchill ne pourra plus voir celui qui était jusqu’alors son ami. Les alliances ont bougé. Staline emporte le deuxième round.

“Tous trois étaient devenus des vieillards. Churchill avait 70 ans, Staline à peine 4 ans de moins ; Roosevelt, qui avait fêté son 63ème anniversaire sur le chemin de Yalta, était de fait le benjamin, même s’il semblait prématurément vieilli. Il semblait aussi très pressé. Ils savaient que le monde les observait, que l’Histoire les jugerait, mais aucun n’en avait autant conscience que l’américain. Il avait tant de choses à transmettre. Il avait été élu quatre fois président des USA, ce dont aucun homme, vivant ou mort, ne pouvait se vanter. A présent que le temps lui filait entre les doigts, seul l’avenir comptait à ses yeux.”

Lundi 5 Février – La situation est sans issue

L’Amérique annonce son retrait d’Europe sous deux ans. L’ogre et le vieillard sont d’accord pour dépecer la Pologne et anéantir l’Allemagne.

“Deux ans. Deux ans ! Churchill hurlait intérieurement, tel un condamné qui vient de voir le bourreau aiguiser sa hache. La Pologne anéantie. L’Allemagne en cendres. La France prostrée. Le Royaume-Uni dénué de tout. Et les Etats-Unis partis. Plus rien ne se dresserait entre le Kremlin et la côte Atlantique.”

Mardi 6 Février – La Pologne est à vendre

La lutte s’engage. Roosevelt veut croire en la promesse de Staline sur la tenue d’élections libres. Et pourtant La Bulgarie, quatre jours auparavant, a été décapité par l’ogre. Tous les leaders non communistes fusillés, sous couvert d’une purge d’éléments fascistes.

Mercredi 7 Février – La Pologne au centre de la dispute

Varsovie a payé son tribut au national-socialisme. Détruite alors que les soviétiques restaient assis de l’autre coté de la Vistule regardant ses deux ennemis s’écharper.

Yalta l’achève la laissant sous la botte russe avec le regard bienveillant de l’Amérique et impuissant de l’Empire britannique.

“Quatre jours s’étaient écoulé sur les 6 six que Roosevelt avait accepté de consacrer à sauver le monde. Si le président avait fini par reconnaître qu’il devrait peut-être poursuivre jusqu’au septième jour, comme dans la Bible, il restait tant de choses à faire et si peu de temps. Tout était accompli dans l’urgence.”

Jeudi 8 Février – Le point crucial de cette grande conférence Churchill dixit

Staline commence à montrer les dents, Roosevelt à abandonner. L’américain veut ses Nations Unies, son triomphe diplomatique. Churchill constate que si la bataille pour la Pologne était perdue. Il était temps de commencer la guerre des mots.

Pendant ce temps-là à Pirun, “Lorsque l’officier en eut fini avec la mère et les deux filles, le reste de la troupe leur passa dessus. La mère ne reprit jamais ses esprits. C’est ainsi que la Pologne fut libérée.

Vendredi 9 Février – “Utilisons le langage de la liberté pour tisser un texte si serré qu’il étranglera quiconque osera l’ignorer.” WC

Sans alliés, la Pologne perdue, l’Empire pris entre les deux puissances au Moyen-Orient et en Chine, Churchill a deux combats à mener. Sauver ce qu’il peut de l’abominable Allemagne pour en faire un rempart contre l’empire rouge et enchaîner le monstre dans les mots.

Samedi 10 Février Bataille de l’Allemagne

Promis à l’anéantissement, au dépeçage, Churchill se bat sur les mots. “Le langage diplomatique, ce nid d’inexactitudes terminologiques”…Dommage de guerre de 20 milliards devient dommage de guerre à négocier sur un point de départ de 20 milliards. La bataille des mots pour sauver ce qui peut l’être encore.

Dimanche 11 Février – Fin des débats

“Des arrêts de mort, pas simplement pour l’Allemagne et le Japon mais aussi pour d’innocents pays comme la Chine, la Pologne et bien d’autres encore aux confins de l’’Europe.“

Retour en 1963 sur le yacht Cristina. Un magnifique épilogue, un dialogue extraordinaire. 25 pages denses qu’il n’y a pas lieu de dévoiler.

Paru en Grande Bretagne en 2005 chez Head Lines publishing sous le titre Churchill’s triumph.

Editions ZDL, 360 pages, Avril 2011, 22€

Lectori salutem, Pikkendorff

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