« Les forces politiques et sociales sont autant de symboles aux contours vagues, mais riches en émotions. La conscience des nations est faite d’affects plus que de représentations claires et distinctes. »
Une extraordinaire biographie, d’un homme et d’un siècle ; d’un romancier devenu homme politique qui écrit des romans, plus tard homme d’État qui les vécut ; d’un XIXème siècle débuté dans les horreurs de la Révolution française et les idées des Lumières, bouleversé par la fin des grands équilibres européens et l’avènement de l’Allemagne, défini par la révolution industrielle et la course à la démocratie entre la brillante classe dirigeante et les masses laborieuses en quasi esclavage, offrant l’avènement du règne des idées par l’industrie du livre. Le Comte de Beaconsfield (1804 – 1881), Prime Minister, romancier engagé aux aventures féminines intéressées et aux idées libérales, aura marqué l’Angleterre avant de quitter la scène à l’aube des grandes conflagrations du XXème..
« Non Monsieur, vous voterez avec votre famille, vous n’avez pas à considérer vos opinions, tel un philosophe ou un aventurier. » (in Coningsby)
Judéo-italiens installés à Londres depuis 2 générations, convertis en 1817 à l’anglicanisme, religion d’État, les Disraeli vivent dans une bénéficiant d’une aisance matérielle et d’une notoriété sociale. Benjamin, romancier à l’heure où ceux-ci ne dépendent plus que de leurs riches mécènes mais à qui l’industrie du livre et de l’édition ouvre à un lectorat et une reconnaissance plus large, certes limitée à 20 000 personnes mais suffisante pour devenir bourgeois eux-mêmes et à se faire un prénom ; homme politique impressionné par le pamphlet du leader whig Burke, Réflexions sur la révolution, dans lequel ce contemporain de la révolution française et contempteur des idées de raison, nature et progrès, ennemi de ces idées de construction rationnelle des sociétés humaines et du contrat social, adversaire des faiseurs de systèmes pour qui la seule légitimité vient du passé et de l’histoire, le prince de l’endettement continu fera parti de l’histoire politique, sociale et géopolitique du XIXème anglais.
« Deux nations, la splendeur des milieux aristocratiques opposée à la misères des classes laborieuses, ces nouveaux esclaves qui semblent avoir échappé à l’attention de la société créée pour l’abolition de l’esclavage de Noirs. »
- L’Autre Nation, dénoncé dans son roman Sybil et le Two Nations et précisé dans les rapports Sadler ou Chadwick, désigne les classes laborieuses en état d’esclavage : le travail des enfants de 4 à 7 ans 12 heures par jour dans les mines, celui des femmes attelées à des chaînes, les taudis, les infanticides à grande échelle, le choléra ou le typhus, et la dégradation par l’alcoolisme et la prostitution.
- La course pas tranquille vers la démocratie en étapes successives visant à étendre la base électorale (Reform Bill), le desserrement des liens entre église et État, les luttes ouvrières et la méfiance des classes supérieure face à ces évolutions pouvant devenir révolutions comme chez les Français.
- Le multiralisme du XIXème siècle, ces déséquilibres gelés après 1945, que l’on voit revivre de nos jours notamment avec les chinois ou les menaces du Sultan de la Sublime Porte.
- La classe dirigeante anglaise au XIXème, classe unique mais pas juridiquement fermée, monde de propriétaires terriens enracinés et repoussant les aventuriers et les spéculateurs, monde ou la vie politique et sociale se confondent : le chef de famille, discipline sociale, « Non Monsieur, vous voterez avec votre famille, vous n’avez pas à considérer vos opinions, tel un philosophe ou un aventurier. » (in Coningsby)Et si aujourd’hui nous avions besoin de nouveau d’une élite, d’une classe dirigeante enracinée ?
- Les romans et écrits : L’auteur détaille chaque œuvre maître, la contextualise et montre ses effets sur l’Angleterre. Les romans de Benjamin Disraeli sont bien souvent des œuvres sociales.
Editions de Fallois, 2016, 404 pages plus 25 pages de notes, de bibliographie et d’index pour 24€
Lectori salutem, Patrick