Entretiens avec Gustave Thibon – Philippe Barthelet

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Assis discrètement au coin du feu, le lecteur, parfois dépassé, toujours captivé, écoutera la conversation de ces deux français comme l’on ne l’est plus depuis trois siècles pour paraphraser Simone Weil. L’homme de lettres et le philosophe, ces deux parrèsiastes mécontemporains, aborderont l’histoire, les mœurs, la poésie, la modernité, la
mémoire amnésique du moderne en vous invitant à penser sans imposer une pensée.

Philippe Bartlet prévient que ces pages survolent beaucoup de ces questions, de ces noms, de ces œuvres, envisagés à hauteur d’aigle en douze chapitres dont quatre consacrés à la poésie, fil d’or de la Conversation avec Gustave Thibon.

Extrait

Page 39

Il y a chez Celine, une critique insurpassable des mensonges, de la démocratie. Dans Voyage, encore : « je vous le dis, petits bonhommes, couillons de la vie, battus, rançonnés, transpirants de toujours, je vous préviens, quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer, c’est qu’ils vont vous tourner en saucissons de bataille… C’est le signe… Il est infaillible. C’est par l’affection que ça commence.

Louis XIV, lui au moins, qu’on s’en souvienne, s’en foutait à tout rompre du bon peuple. Quant à Louis XV, de même. Il s’en barbouillait le pourtour anal. On ne vivait pas bien en ce temps-là, certes, les pauvres n’ont jamais bien vécu, mais on ne m’était pas à les étriper, l’entêtement et l’acharnement qu’on trouve à nos tyrans d’aujourd’hui ».

Page 42

Le paradoxe de la littérature, c’est qu’elle doit être en effet beaucoup plus que de la littérature – en réveillant le divin dans l’homme – sous peine d’être beaucoup moins, c’est-à-dire précisément de n’être que de la littérature au sens où Verlaine l’entendait.

Page 48-49 – À propos de Gabriel Marcel (1889-1973)

C’est un philosophe du concret, doublé d’un véritable métaphysicien, et certaines de ses distinctions qu’il a faites me paraissent souveraine, entre le problème et le mystère, par exemple, ou bien entre l’opinion et la foi. Il a répondu à la critique de subjectivisme qu’on aurait pu lui adresser par sa théorie de l’intersubjectivité, capitale elle aussi, selon laquelle, si l’on creuse assez le sujet, on finit par te retrouver le fond éternel commun à tous les sujets. Car il existe ce qu’on pourrait appeler des archétypes subjectifs, communs à tous les temps, à tous les siècles et à toutes les cultures. C’est par là que l’on se dégage des ombres de la Caverne. Hugo, parlant de la conscience :

Cette insomnie auguste en nous, cette prunelle
Ouverte sur le bien et le mal, éternelle.

On la retrouve toujours à travers les poètes, les prophètes, les sages et les saints de civilisations et de mœurs parfaitement différentes où les hommes s’ignoraient mutuellement, ne parlaient pas la même langue et n’avait aucun rapport entre eux, sauf cette comme une intuition fondamentale.

C’est la preuve presque absolue de l’existence d’un monde transcendant, puisque celui-ci s’est manifesté dans les mêmes termes à des hommes que par ailleurs tout séparait. Intuition que Platon, nommait réminiscence.

Page 69, Philippe Barthelet

Le monde où nous vivons pourrait être caractérisé par l’éclipse de tout ce qu’il y a de suprême, dans tous les ordres… Un monde où les poètes se taisent, ou deviennent fous, un monde d’où les dieux sont retirés ; un monde découronné.

Page 73

La monarchie, par sa nature même, cet appel à un ordre transcendant, représentait une sauvegarde contre la tendance proprement totalitaire du Gros Animal, à tout subordonner à sa pesanteur. Au lieu que les démocraties, étrangères, sinon opposées, à toute transcendance, réduiront tout à la logique sociale, c’est-à-dire aux caprices du Gros Animal. Camus définissait très justement les « vrais monarchistes » : « ceux qui concilient l’amour vrai du peuple, avec le dégoût des formes démocratiques. »

Page 79

Pour les vaincus, la lutte est un grand bonheur triste.
Qu’il faut faire durer le plus longtemps qu’on peut.

Victor Hugo, La légende des siècles,
Thémistocle répondant à un prêtre soudoyé par les Perses lui remontrant que le repos des Grecs exige qu’ils se rendent. Hérodote rapportera peur victoire plus tard.

Page 97

Les plus grands esprits ont eu de l’humour : et quand l’humour manque, il manque une pièce essentielle… L’humour et la profondeur font bon ménage : il ne faut pas confondre le profond avec le sérieux, ni tant s’en faut, le léger avec le superficiel…

Page 130

Si la poésie n’est pas cette évocation du monde qui demeure au-delà – est au travers – du monde qui passe, l’affleurement du monde réel dans le monde des apparences, elle ne mérite plus son nom : elle est alors badinage, travail de bons ouvriers, voire travail d’orfèvre, mais non poésie. Car la poésie vient de plus loin que l’homme : en cela, le poète s’apparente au prophète.

Page 132

C’est pourquoi l’une des tares les plus graves du monde moderne me paraît la prostitution de l’image, que l’on met ainsi plus bas que l’abstraction.

Page 140

Quand les choses ne sont plus que ce qu’elles sont, elles cessent en effet d’être des symboles pour devenir de purs instruments qui n’existent pas en eux-mêmes, et où l’on ne voit qu’une extériorité purement utilitaire…

Page 164

Échelle descendante des valeurs : au sommet, le contemplatif immergé dans la beauté originelle ; au-dessous, l’artiste, dont l’effort créateur, donne forme au visible, d’après l’invisible entrevu ; au-dessous encore, au plus bas degré, l’homme d’action, qui manœuvre des apparences sans transparence…

Page 167

Les catégories aristotéliciennse permettent de s’interroger avec ordre. Ce n’est plus guère de mise aujourd’hui où l’on veut les solutions avant même d’avoir posé convenablement les questions.

Page 167

Et j’ai eu la tristesse de voir à quel point les grands esprits que je connaissais en Allemagne étaient contaminés par l’hitlérisme. Ce qui montre la puissance des idoles du jour et devrait nous mettre en garde, sachant les ravages des idoles du passé, contre les idoles du présent.

La première édition de ces entretiens a été publiée en 1988 ; une deuxième édition en 2001 aux éditions du Rocher ; l’entretien offert en épilogue, l’art de l’harmonie, a paru en 1987 dans le n°10 de la Nouvelle Revue de Paris (1985 à 1989).

Desclée de Brower, Poche, 2016, 24 pages pour un minuscule 9,50€

Lectori salutem, Patrick

Association Présence de Gabriel Marcel

Là où une philosophie orgueilleuse et aveugle prétend nous convaincre qu’il n’existe qu’un vide, un néant – il y a sans doute au contraire une plénitude de vie, les merveilleuses réserves d’u…

http://www.gabriel-marcel.com/index-en.php

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