”C ombien de fois faut-il réécrire ? Je ne peux le dire précisément. Pour ma part, je procède à de très nombreuses réécriture s , à tous les stades, y compris sur les épreuves, au point que l’éditeur lui-même n’en peut plus. Je lui renvoie des épreuves couvertes de correction s , carrément noir cie s d’ annotations, et je recommence avec le nouveau jeu. Comme je l’ai déjà dit, c’est un travail que j’exige de la persévérance, mais cela ne m’est pas pénible. Relire plusieurs fois la même phrase pour bien sentir comme nt elle sonne, changer l’ordre des mots, effectuer de toutes petites modifications stylistique s , c’est un travail minutieux et, par nature, je l’apprécie.” page 102-103
Enfermé seul dans une pièce à trifouiller avec ardeur un texte en se creusant fiévreusement la tête sans personne pour l’applaudir et nul lecteur pour remarquer la phrase mainte fois remaniée, le romancier fait un bien curieux métier. Dans ce texte de 200 pages à l’oralité assumée Haruki Murakami offre une conférence sur l’écriture comme métier, une histoire personnelle franche et sans détours accompagnée de sa recette détaillée d’écriture.
Le romancier observe sans conclure, se laisser pénétrer des choses vues et entre dans soi pour disposer d’une énergie renouvelable à l’infini appelant à la créativité et l’originalité fruits d’une vie intérieure peuplée par les lecture et l’écoute.
Faire du temps son allié en créant un cycle rigoureux
- se fixer un objectif quotidien à atteindre et à ne pas dépasser : 10 pages par jour (400 signes japonais par jour, 2 pages et demie de son mac),
- se lever tôt, café et 5 à 6 heures devant l’écran et faire une heure de sport,
- une fois le tapuscrit achevé, prendre une semaine de recul,
- puis gratter le tapuscrit, en ôter les aspérités, les points contradictoires, les passages illogiques sur la chronologie ou les personnages, raboter franchement ici, développer largement là, ajouter d’autres épisodes… Cette réécriture me prend un mois ou deux.
- une fois le tapuscrit réécrit, prendre une semaine de recul,
- Deuxième série de retouches minutieuses sur les détails, les descriptions de paysages, les dialogues, la facilité de lecture et de compréhension…
- Puis après un arrêt, procéder à des amendements sur le développement du roman, où serrer ou relâcher les vis pour donner de l’air au lecteur,
- Puis le tapuscrit dort un mois et Haruki Murakami l’oublie, travaille sur un autre sujet, voyage, se nourrit, laisse la pâte se reposer.
- Puis relecture du roman pour juger de sa profondeur, de son équilibre,
- Et nouvelle réécriture,
- Et enfin est venu le moment de présenter l’ouvrage à un tiers de confiance qui donne le la sur la durée, chez Murakami, sa femme : les remarques sont difficiles à supporter mais elles révèlent toujours un blocage, une imperfection, une amélioration potentielle.
- À ce stade il s’agit d’amender les passages questionnés, la laisser relire et retoucher tant que nécessaire.
- Puis relecture de l’ensemble pour les derniers ajustements sur la fluidité, les déséquilibres apportés par les dernières modifications.
- Et c’est à ce moment que Haruki Murakami confie son tapuscrit à son éditeur le cerveau calme et rafraichi.
Et tout cela prend un à trois ans !
« Je sais qu’une nouvelle est achevé e , lorsque je l’ai soigneusement relu, que j’ai ôté un certain nombre de virgules , puis que je l’ai relu encore une fois et que j’ai remis les virgules aux mêmes endroits. »
Raymond Carver cité par Murakami page 103
S’enfoncer à l’intérieur de soi
”Par essence, un écrivain raconte des histoires. Il s’enfonce dans les souterrains de la conscience. Descend au plus profond des ténèbres du cœur. Et plus l’histoire qu’il veut raconter est vaste, touffu e , plus il doit aller loin dans le sous-sol. De même que la construction d’un grand immeuble nécessite de creuser très loin pour édifier des fondations. Et p lus l’histoire à racont er est dense et fourmill ante , plus l’obscurité dans laquelle plonge d’écrivain est lourd, épaisse,
C’est au cœur de ces ténèbres, qu’il découvre ce dont il a besoin –ce qui nourrira son roman–et qu’il ramène sa prise dans les zones supérieur de son esprit. Il transforme alors ce matériau en texte en lui donnant des formes et du sens. C es lieux sombre s regorge nt de danger. Les créatures qui les peuple nt peuvent revêtir toutes les apparences possible s afin d’égar er les humains. Il n’ya là-bas ni poteau indicateur ni plan. Certains endroits se changent en labyrinthe. Comme des grottes souterraines. S i l’on manque de vigilance, on est perdu. Et l’on risque de ne plus remonter. Dans cette obscurité, inconscient collectif et inconscient individuel se confondent. Comme se confondent temps immémoriaux et présent. Rien ne peut être emporté sans avoir été disséqué, au risque de conséquences parfois périlleuse s .” Page 118
Les personnages ou ”Mon petit automate”
Les personnages de Murakami se développent naturellement au cours de l’écriture, sans décider de leur création ou de leur évolution. Un processus qu’il appelle son petit automate rappelant la conduite d’une voiture à boîte de vitesse automatique.
“La grande majorité des écrivains estime que ce qu’ils font ou écrivent est juste et vrai et, à quelques exceptions près, que tous les autres sont dans l’erreur. Ils vivent au quotidien avec ce genre de conviction. On comprend donc pourquoi rares sont ceux qui souhaitent compter de tels individus parmi leurs amis ou leurs voisins.”
“Les écrivains sont fondamentalement une espèce égoïste. La plupart d’entre eux sont orgueilleux et anime d’un vif sentiment de rivalité. Une rencontre entre des écrivains, ce solde le plus souvent par un échec par une solide amitié. Je l’ai moi-même vécu bien des fois.”
page 1
traduit du japonais par Hélène Morita
titre original Shokugyo toshite no shosetsuka (Novelist as a vocation)
Emprunté à la bibliothèque de Versailles, 2023
Belfond, 2019, rédigé en 2015 et avant, 200 pages, 20€ de conseils précieux.
Lectori salutem, Pikkendorff