« Que ta parole soit oui quand c’est oui, non quand c’est non. Ce qu’on y rajoute vient du mal. (Matthieu 5, 37)
Gnostiques, cathares, est-il possible de connaître, d’écrire l’histoire de tels mouvements minoritaires, oblitérés après avoir été éradiqués ? Si les diatribes cisterciennes du XIIème et les réfutations dominicaines du XIIIème offrent le regard du vainqueur, l’invention en 1945 d’une bibliothèque gnostique à Nag Hammadi et la découverte en 1939 à Florence du Liber de duobus principiis éclairent le débat sous un jour nouveau redonnant au catharisme sa figure de spiritualité chrétienne médiévale.
« Ils parlent comme des philosophes et se conduisent comme des saints » Adémar de Chabannes vers 1018 dans son Sermon sur l’Eucharistie
Ce livre, véritable promenade dans le temps à la rencontre de l’Église médiévale, n’est pas une énième histoire de l’hérésie du XI au XIVème mais plutôt une très intéressante immersion dans la spiritualité cette Église incarnée, son corpus de pratiques, de rites, de croyances issues de la chrétienté médiévale.
« Nous supportons tout cela, parce que nous ne sommes pas du monde. Mais vous, qui aimez le monde, vous êtes en paix avec le monde, parce que vous êtes du monde. (Jean 15,19)
Le XIIème siècle, un souffle spirituel incompréhensible aujourd’hui
C’est qu’il y a deux Églises : l’une fuit et pardonne (Matthieu 10,23), l’autre possède et écorche ; c’est celle qui fuit et pardonne qui tient la droite voie des apôtres, elle ne ment ni ne trompe ; et cette Église qui possède et écorche, c’est l’Église romaine. » (page 27 – 28)
Cette Église qui possède et écorche, cette église de richesse et de pouvoir, dénoncée deux siècles auparavant au mitan du XIIème siècle, en Rhénanie, se lèvent, avant les ordres mendiants, dans la tradition de pauvreté et de détachement du monde.
Et si les hérétiques étaient la frange étincelante de l’écume, au sommet d’une lame porteuse des aspirations au renouveau spirituel qui anime alors le peuple chrétien tout entier ?
Vous avez dit Cathares ?
L’auteur considère que ce terme péjoratif et réducteur ne correspond pas à une réalité historique mais est nécessaire pour se faire comprendre. Entre eux ils se désignaient comme les bons chrétiens, les bons hommes ou les bonnes femmes. Cathares fait partie de la dénonciation hérétique comme d’autres mots : cathares, parfaits, patarins, publicains, piphles, manichéens, ariens, albigeois.
De la persécution des cathares
L’exclusion de tout les groupes non conformes, des frères qui incarnent une force de résistance religieuse interne au monde chrétien ira jusqu’à une persécution terrible. Si les païens de notre post-moderne doivent se taire sur le sujet incompréhensible pour leurs esprits faux ou malins, le chrétien moderne se posera la question à savoir si la source de l’interdiction ex-abrupto de la messe en latin n’aurait pas un peu à voir avec cette exclusion jusqu’à l’éradication de chrétiens pauvres en Christ.
Des maisons cathares
Le livre détaille la vie quotidienne des bons hommes et des bonnes femmes, souvent issus de la caste seigneuriale, vivant au coeur des villes ou villages contribuant à ancrer la religiosité cathare au coeur battant de la société. Une préfiguration avec une ou deux générations d’avance du couvent à la ville des ordres mendiants, franciscains, dominicains.
Différentes thématiques traitées
L’origine de l’hérésie, les maisons cathares, les cathares sont-ils des néo-manichéens, le catharisme est-il une gnose ?, les pratiques religieuses, les différents points de vue sur le Bien et le Mal, sur les dogmes et les rites…
Un livre à lire, sûrement à relire et ouvrant à découvrir les autres ouvrages de Madame Brenom notamment sur les Bonnes Femmes.
Références
- Biographie de l’auteur : Anne Brenon
- Gnostiques, cathares, est-il possible de connaître, d’écrire l’histoire de tels mouvements minoritaires, oblitérés après avoir été éradiqués ? (p 13, introduction)
- Bibliothèque Nag Hammadi, découverte de 1949, dans la Pléiade, 2007
- Liber de duobus principiis (Livre des deux principes), deuxième partie du XIIIème, conservé en la Bibliothèque de Florence, découvert par le R.P. Antoine Dondaine (1898 – 1987) en 1939
- René Nelli, 1975, La Philosophie du catharisme, étude à partir du Livre des deux principes
- René Nelli, 1959, Écriture cathares, traduction et commentaire des écrits cathares connus dans les bibliothèques européennes
- Évangile de Judas, découverte en 2006, traduite et éditée par National Geographic. Une traduction du copte au français proposé sur la toile en 2007 par l’Universite de Genève, l’édition de Gallimard, 2007, une traduction en français de la traduction du copte vers l’anglais avec les commentaires des auteurs du National Geographic
- Jacques Lacarrière Les Gnostiques, 1994
Albin Michel, Espaces libres, 2007, 2021, 275 pages plus notes et bibliographie, 9,90€
Lectori salutem, Pikkendorf